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LES SETTE COMMUNI.

simples et crédules, surtout à cause de leur esprit espiègle et taquin. Les paysans s’en prennent à ces êtres invisibles de toutes les mésaventures qui leur arrivent. Ils renversent leur marmite, cassent leur écuelle ou brisent un outil, c’est le lutin qui en est cause. Les nains ne sont pas moins malfaisans ; ils se transforment de mille manières ; les oiseaux qui pillent leur orge ou leur avoine, les rats ou les souris qui grignottent leur fromage ou leur lard, les grêlons qui détruisent leurs moissons, et les cailloux contre lesquels leur pied se heurte en gravissant la montagne, cachent autant de ces malicieux petits esprits qui souvent leur font perdre patience, et les poussent aux vengeances les plus comiques. On raconte à ce sujet qu’un pauvre montagnard, poussé à bout par les méchancetés d’un lutin qui faisait toutes sortes de dégâts dans sa grange, voyant qu’il ne pouvait prendre son ennemi dans les piéges qu’il lui tendait, ne trouva rien de mieux à faire que de le brûler vif dans sa retraite. Une nuit donc qu’il supposait que le lutin dormait au milieu des tas de paille, il ferma à clé les portes de la grange, en calfeutra soigneusement avec du plâtre les moindres ouvertures, puis il mit le feu à la paille par un petit trou qu’il avait ménagé et qu’il boucha aussitôt. La grange fut en un instant toute en flammes. Tandis qu’elle brûlait, le montagnard se frottait joyeusement les mains, enchanté du bon tour qu’il venait de jouer à l’esprit. Tout à coup il entend un éclat de rire derrière lui, il se retourne, et il aperçoit le lutin perché sur un des bâtons de son échelle, se frottant comme lui les mains en riant, et murmurant avec sa petite voix moqueuse : — Ma foi, maître, il était temps que nous sortissions ; n’est-ce pas, maître, qu’il n’y avait plus un moment à perdre ?

Si vous quittez les cantons d’Asiago et de Gallio, les plus civilisés et les moins sauvages du pays, et que vous vous éleviez jusqu’à l’effrayant ravin dit le Creux de l’Ours, cavo dell Orso, qui s’étend à mi-hauteur du mont Portole, les pâtres de ces vallées solitaires vous raconteront de plus étranges histoires. C’est sur l’une des cimes de cette montagne, restée de tout temps inaccessible, qu’est situé le Paradis des Bêtes. Au milieu de roches abruptes s’étend un vallon fleuri, couvert d’herbes épaisses et de plantes odoriférantes, où paissent en toute liberté, et à l’abri des coups du chasseur, d’innombrables troupeaux de chamois et de bouquetins, et une multitude d’autres animaux plus curieux encore, dont les hommes ont détruit l’espèce, le cerf, l’urus, la licorne. Tous les vingt ans arrive un jour