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faix. Pour ma part, lorsque je repris le chemin de Vicence, j’avais aussi fait ma moisson ; mon portefeuille était rempli. Depuis, en revoyant les croquis de ces paysages, j’ai cru y découvrir un peu de monotonie. C’est qu’ils manquaient de cette perspective aérienne que le crayon et le papier ne peuvent seuls exprimer, c’est que la population si laborieuse et si vivante qui animait jusqu’aux recoins les plus sauvages de ces vallées n’était plus là. L’activité des montagnards de ces contrées les rapproche plus en effet des Tyroliens allemands que des Tyroliens de l’Adige ou du Pusterthal. Elle semble doubler la population du pays. Hommes et femmes passent le jour aux champs ou travaillent, dans les rues de leurs villages et des moindres hameaux, à la fabrication des tissus de laine et de fil, des ouvrages de bois ou de poterie, qui alimentent le commerce de la petite république.

Le costume des habitans des Sette Communi a beaucoup d’analogie avec celui des montagnards de Trente et de Roveredo. Seulement les femmes se coiffent coquettement d’un chapeau d’homme à bords relevés comme les contadines de Vicence et de Padoue. Elles préfèrent en général les couleurs brunes et foncées aux couleurs éclatantes ; lors de la mort d’un parent, hommes et femmes portent religieusement le deuil une année entière, couverts d’amples vêtemens de laine noire, même pendant les jours les plus chauds de l’été.

Ces montagnards sont grands mangeurs, comme les Allemands ; leurs noces durent une semaine, pendant laquelle la moitié de la dot est dépensée en festins et fusillades. Dans leurs processions, mais particulièrement le jour des Rogations, les stations sont marquées par un repas champêtre et des libations fréquentes. On dirait la célébration de quelque fête dyonisiaque.

L’esprit des habitans des Sette Communi est plus positif peut-être sous quelques rapports que celui des Tyroliens de l’Eisach ou de l’Innthal ; ils ont cependant de commun avec ces derniers un grand nombre de croyances naïves, souvent même de grossières superstitions. C’est dans la contrée renfermée entre Feltre, Trente et Bassano, c’est-à-dire au centre de leurs rochers, qu’à les en croire, habitent de préférence la femme sauvage et les esprits de la forêt. Le règne de ces mauvais esprits ne dure guère qu’un seul mois, du 15 décembre au 15 janvier ; mais, durant ce petit nombre de jours, que de méchans tours ne jouent-ils pas aux chasseurs assez téméraires pour s’engager trop avant dans la montagne, et aux bergers qui ne redoutent pas de conduire leurs troupeaux hors de la vue des habitations !

Les lutins et les nains sont également fort redoutés par ces hommes