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fut alors que Leonardo put connaître sa courageuse libératrice. Elle était fille d’un pilote de Chioggia et s’appelait Anetta. Elle accompagnait son père dans un voyage à Otrante lorsque le trabacolo qu’ils montaient fut jeté par la tempête sur la côte d’Albanie. Recueillie par des pirates, elle avait été livrée au bey de Cettigne, qui, séduit par sa beauté, en avait fait sa favorite. Anetta eût été heureuse si elle ne se fût rappelé un jeune pêcheur de Chioggia auquel elle était fiancée. Ce souvenir et le mal poignant qu’on a nommé le mal du pays la dévoraient. Elle n’avait qu’une seule pensée, qu’un seul désir, c’était de rompre sa chaîne, quelque brillante qu’elle fût, et de revoir son pays. Lorsqu’on avait conduit Leonardo devant le bey, Anetta était présente ; elle avait reconnu à ses exclamations qu’il était Italien ; l’aventure à la suite de laquelle on l’avait fait prisonnier lui prouvait qu’au besoin il ne manquerait pas de résolution ; elle l’avait donc secouru d’abord, pour être à son tour délivrée par lui.

À l’heure de midi, tandis que les fugitifs se reposaient à l’ombre, étendus dans les hautes herbes, ils virent s’élever à l’extrémité de la plaine un nuage de poussière au milieu duquel brillaient des armes. Anetta se leva en pâlissant. — Nous sommes poursuivis, s’écria-t-elle, je reconnais là-bas le cheval noir du bey — En prononçant ces mots, elle sauta en selle, Leonardo l’imita ; tous deux parvinrent bientôt à franchir la chaîne des montagnes arides qui sépare la plaine de Cettigne de la mer. Le soleil allait se coucher, comme ils arrivaient sur la plage. La côte paraissait inhabitée, et la mer était déserte. Pas une barque dans laquelle ils pussent se jeter. Ils galopèrent long-temps sur le sable avant de rien voir. Cependant, à la tombée de la nuit, ils aperçurent une flamme qui brillait au fond d’une petite anse ; ils s’empressèrent de courir dans cette direction, car derrière eux ils pouvaient entendre sur la grève les hennissemens et le galop des chevaux qui les poursuivaient. Trois hommes en habits de matelots étaient assis autour d’un grand feu ; en voyant deux cavaliers inconnus, ils allaient fuir ; la voix d’une femme les rassura. La vue du sac de ducats fut plus efficace encore ; ils mirent leur barque et leurs bras aux ordres des fugitifs ; et, comme les cavaliers du bey arrivaient sur la plage, les cherchant à la lueur des torches, Anetta et Leonardo voguaient au large dans la direction de Raguse.

Les hommes dont ils montaient la barque étaient originaires de ces îles de l’Adriatique qui s’étendent de Zara aux bouches du Cattaro ; c’est un pays de hardis contrebandiers et de redoutables pirates. Anetta s’était couchée au fond de la barque sur des nattes. Leonardo