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s’écrasent à plaisir entre d’énormes rochers et se perdent au fond de gouffres hurlans d’où ils ressortent blancs d’écume. Nous traversâmes la Brenta sur deux longues poutres garnies de quelques planches ; c’est ce qu’on appelle un pont dans le pays. Au-delà de ce pont, de hautes montagnes se dressaient comme un mur. — C’est donc là-haut qu’il va falloir grimper, murmura mon ami le convalescent avec un long soupir. — L’un des guides que nous avions pris à Carpenedo hocha négativement la tête ; et nous montrant une longue crevasse ouverte à la base du rocher, et d’où s’échappait une belle nappe d’eau — Voici notre chemin, nous dit-il. — Comment ! nous allons remonter le torrent qui sort de ce souterrain ; mais où y a-t-il un bateau ? — Nous saurons bien nous en passer, repartit un autre de nos guides. — Et aussitôt chacun d’eux nous saisissant, mon compagnon et moi, dans leurs bras, ils nous placèrent à califourchon sur leur cou, entrèrent sans hésiter dans le torrent et s’enfoncèrent dans la caverne, nous recommandant de baisser la tête afin de ne pas nous heurter contre les parois de la voûte, fort basse en cet endroit. Nous marchâmes ainsi pendant quelques instans, éclairés seulement par le jour bleuâtre qui arrivait de l’entrée de la caverne ; puis tout à coup nos porteurs firent un détour, montèrent quelques marches, et nous déposèrent sur une plate-forme rocailleuse que le torrent ne baignait pas. Tandis que nous reprenions haleine, nous remettant de ces premières émotions de la route, un des montagnards battit le briquet, alluma un bout de corde goudronnée qu’il tira de son sac et qui simulait une torche, et, me mettant dans la main le pan de sa veste, me dit de le suivre, en recommandant de le bien tenir. L’autre guide donna le même avertissement à mon compagnon, et nous partîmes. Les voûtes de la caverne s’élevaient en cet endroit à une grande hauteur ; par momens nous les perdions même absolument de vue. Au-dessous de nous grondait le torrent, également invisible ; seulement, quand le sentier se rapprochait de ses bords, quelques lueurs resplendissaient dans les ténèbres et nous indiquaient la place où ses eaux coulaient. Nous marchâmes long-temps au milieu de cette vaste et silencieuse obscurité ; il nous semblait que nous gravissions les flancs d’une haute montagne par une nuit sans vent et sans étoiles ; nous ne voyions en effet, autour de nous, qu’une ou deux toises du roc nu sur lequel nous marchions, la lumière des torches que portaient nos guides ne rencontrant nul autre objet dans les ténèbres. Tout à coup l’un d’eux s’arrêta, prêta attentivement l’oreille pendant une ou deux minutes, échangea quelques mots rapides, dans son