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LES SETTE COMMUNI.

fîmes une battue dans le village, sans trouver mieux qu’une oie, un coq et quelques livres de pain moisi. Manger le coq ne semblait pas possible ; ce symbole du courage, de la vigilance et de la sobriété paraissait maigre comme s’il eût toujours querellé, toujours veillé et jamais mangé. L’oie offrait plus de ressources ; mais comment entamer une oie tuée et rôtie dans la même heure ? L’hôte nous rassura ; il avait, disait-il, un moyen infaillible d’attendrir la chair la plus coriace. Les Tartares, en pareille occasion, coupent la viande par tranches, la mettent entre le cheval et la selle, et font une dizaine de milles au galop ; les pêcheurs de nos ports de mer jettent la raie d’un quatrième étage sur le pavé, ou la frappent à grands coups de battoir : l’infaillible moyen de notre hôte était plus original encore, et certainement moins ragoûtant. D’un coup de serpe il abattit la tête du pauvre animal, et, tandis qu’il se traînait encore, notre homme ôta ses guêtres et sauta dessus les pieds joints. Si nous ne nous fussions empressés de mettre fin à cette danse, je ne sais trop ce qui serait resté de sa victime, dont chacun de ses bonds broyait les os et faisait sortir les entrailles. — Vous avez tort de ne pas me laisser faire, me dit le montagnard en remettant ses guêtres ; vous la mangerez dure. Il consentit cependant à plumer son oie, à la laver scrupuleusement et à la mettre en broche sans plus essayer de l’attendrir. Taillée en aiguillettes minces comme de la dentelle, la chair de la bête fut mangeable.

Nous couchâmes sur des paillasses de maïs, sans draps, et n’ayant que nos manteaux pour couvertures. Toute la nuit nous entendîmes des hurlemens dans le voisinage de la cabane qui nous servait de gîte. — Ce sont les loups des bois de Campo-Martino qui rôdent autour du cimetière de la paroisse où l’on a enterré hier un mort, nous dit notre hôte. Depuis que la chasse est défendue et qu’on envoie les récalcitrans aux galères, ces animaux-là se sont terriblement multipliés ; si le gouvernement n’y met ordre, non contens de déterrer les morts, ils pourront bien s’attaquer aux vivans. — Ces hurlemens de loups, ce gîte agreste et ces mœurs tant soit peu sauvages, nous paraissaient un excellent augure pour notre course des jours suivans ; nous nous mîmes donc en route le cœur joyeux et la curiosité convenablement aiguisée ; nous comptions voir du nouveau.

La Brenta, entre Carpenedo et Valstagna, ne ressemble pas plus au fleuve bordé de palais que longe la route de Padoue à Mestre que Carpenedo ou Valstagna ne ressemblent à Venise. C’est un de ces torrens pleins de rage, qui s’agitent dans d’affreuses convulsions, qui