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LES SETTE COMMUNI.

leurs voisins, pauvres comme eux, sans les dépouiller ni les appauvrir. D’où viennent ces montagnards aux mœurs et à la physionomie si tranchées ? On l’ignore, et ils l’ignorent eux-mêmes. Descendent-ils de ces Rhètes indomptables que les Romains ont combattus si long-temps et que leurs poètes ont célébrés ? Sont-ils les arrière-neveux de ces Cimbres que Marius vainquit à Campo-Rondone, dans le voisinage de Vérone, ou de ces Thuringiens dont l’épée de Clovis, roi des Francs, avait moissonné la meilleure partie dans les plaines de Cologne, et dont les débris, recueillis par Théodoric, se sont réfugiés dans les montagnes de la Rhétie ? Chacune de ces opinions a des partisans, s’appuyant tous sur des textes qui semblent devoir faire autorité. Le bon docteur s’apprêtait à me citer longuement les divers passages auxquels il faisait allusion : — Je vous crois sur parole, lui dis-je aussitôt. Mais c’est moins de l’origine de cette petite peuplade que de ses mœurs et de sa constitution actuelle que je vous prierais de m’entretenir. — Sa constitution, c’est la constitution de la république de San-Marino sur une plus grande échelle ; c’est une constitution municipale dont l’origine se perd dans la nuit des temps. Ses mœurs, ce sont celles des pâtres de la Suisse et des montagnards du Tyrol combinées et plus naïves.

Ce préambule m’intéressait vivement. J’aime ce qui est original et inédit, surtout en fait de mœurs et d’institutions ; j’aime en outre à étudier ce qui ne l’a pas été ; j’augurais donc favorablement des réponses du docteur Mais, au lieu, de me présenter un tableau fidèle du caractère de ce petit peuple, de me faire connaître ses usages, ses croyances, ses institutions, et de me conduire par ses descriptions au milieu du singulier pays qu’il habitait, l’intraitable savant, sourd à mes questions répétées, retomba bientôt dans ses arides dissertations sur les commencemens probables de la colonie thuringienne ou cimbrique, citant tour à tour Marc Pezzo, Marzagaglia, Busching, Scipion Maffei ou Jean Costa, ne quittant le terrain de l’histoire primitive que pour celui de l’histoire physique, et s’enfonçant comme à plaisir, et de façon à désespérer l’auditeur le plus résolu, dans les doubles ténèbres de l’archéologie et de la géologie. Le docteur ne vivait que dans le passé, le présent ne paraissait pas exister pour lui ; ses connaissances comme ses collections étaient toutes fossiles. Toutefois, le peu que j’avais appris de sa bouche avait piqué ma curiosité, et, en revenant à notre hôtel du Chapeau Rouge, je ne songeais qu’au moyen de la satisfaire. De retour au logis, je trouvai mon hôte assis devant sa porte et savourant l’abominable liqueur de semate.