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imité par Thucydide, par Tite-Live, par Tacite même, ne révèle-t-il pas l’origine homérique de l’histoire chez les anciens ? Il est certain en effet que les discours d’Homère et sa force tragique excitèrent de tout temps l’admiration des hommes distingués dont l’éducation n’avait point d’autre livre ; et il était assez naturel qu’ensuite, en écrivant l’histoire, ces hommes éminemment artistes ne laissassent point passer, sans y marquer la trace de l’art, dont ils s’étaient nourris, les récits des grands évènemens qui s’y prêtaient si bien.

Voyons maintenant les figures du premier plan, les agens du drame, les caractères, les passions, les destinées individuelles. Et loin de nous les remarques superficielles des rhéteurs, des commentateurs, et des faiseurs de préceptes ; en sondant les personnages d’Homère, on n’y trouve nul artifice littéraire, mais une rare profondeur philosophique, un regard fixé sur la nature, une aspiration énergique à la réalité vivante.

Fut-il jamais création plus vivante que celle du personnage d’Achille ? Cette figure est agrandie, il est vrai ; elle est idéalisée, car il fallait la proportionner au piédestal élevé de la poésie ; mais du reste, quelle saisissante vérité ! Jeune et de haute race, le caractère d’Achille se compose d’instincts naturels, qui se déploient de toutes parts avec une sève luxuriante, et d’orgueil royal légitimé par le besoin que toute la Grèce a de lui. C’est un enfant sublime, facile à toutes les émotions, prompt aux larmes et à la fureur, plein d’amour ou de haine, de respect ou d’insulte, incapable d’admettre une limite à un sentiment quelconque, s’enfonçant plus loin qu’il ne voudrait dans les résultats d’une première vivacité. L’instinct et l’orgueil, l’impulsion native et l’impulsion sociale, se trouvant en désaccord et se heurtant dans sa vie, produisent son combat intérieur, son drame, et le sujet de l’Iliade. La peste sévit-elle dans l’armée ? C’est lui qui, dans sa pitié chaleureuse, demande qu’on songe au remède, et qu’on invoque les dieux. Le prêtre a-t-il déclaré qu’il faut, pour apaiser le ciel, rendre au vieux Chrysès sa fille, captive d’Agamemnon ? C’est Achille qui prend le parti du prêtre, du vieillard, du pauvre peuple, et des dieux. Mais voici qu’Agamemnon, privé de sa captive, s’en prend à lui, et l’outrage ; alors tout s’émeut dans Achille ; alors l’orgueil vient gonfler son cœur, et y étouffe tout autre sentiment. Ce vaillant, ce héros, qui parlait avec tant de piété, de dignité, de sagesse dans l’assemblée des rois, le voilà qui s’en va pleurer sur le rivage ; il pleure et il appelle sa mère, comme un enfant maltraité. Ce protecteur du soldat, véritablement bon dans ses élans spontanés, le