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blique grecque, c’eût été nier la force intellectuelle qui avait fait la Grèce, et c’est ce qu’il fut impossible d’obtenir des esprits distingués de ce pays. Au contraire, Homère devenait de plus en plus le représentant de la pensée nationale ; toutes les sectes qui se disputaient la gloire de dominer cette pensée, se disputaient Homère. « Tantôt, dit Sénèque, ils en font un stoïcien qui n’admire que la force d’ame ; tantôt un épicurien qui ne goûte que la paix, les festins et les joyeuses chansons ; tantôt un péripatéticien qui distingue et qui classe ; tantôt un sceptique qui ne croit à rien. » Aussi l’excommunication fulminée par Platon n’eut point de suite ; mais ses sectateurs revinrent à la première idée qu’il avait eue, à la tentative de falsifier le sens naturel pour en extraire un sens mystique et pour y faire faire sous de prétendues figures toutes les théories qu’on avait envie d’y trouver. Même après que le christianisme eut substitué aux mythes corrompus les paraboles si pures et si aimantes de l’Évangile, le néoplatonisme, son rival, nourrissait encore l’espoir de rajeunir le symbolisme décrépit, en prenant, par le plus parfait contre-sens, ces poésies homériques pour base de son œuvre : c’est-à-dire, en prenant, pour reconstruire un édifice, la sape qui l’avait démoli. C’est une chose inouie que les tortures auxquelles ces philosophes appliquèrent le bon sens, pour le forcer de trouver dans Homère ce qui n’y était pas. Je n’en rapporterai qu’un exemple, que me procure l’un des plus célèbres adversaires du christianisme, Porphyre. Son opuscule sur la Grotte des Nymphes est un commentaire mystique sur un passage d’Homère. Ulysse, dans l’Odyssée, est débarqué, pendant son sommeil, par les Phéaciens, dans un port d’Ithaque. « À l’extrémité de ce port croissait un olivier touffu ; auprès de l’olivier se trouvait une grotte délicieuse et obscure, retraite sacrée des nymphes qu’on appelle Naïades. Au dedans, il y a des coupes et des amphores de pierre ; là aussi, des abeilles qui font du miel ; là, des métiers de pierre, très longs, sur lesquels les nymphes tissent des manteaux de pourpre admirables à voir ; là, des sources qui ne tarissent jamais. Cette grotte a deux entrées ; par l’une, qui est au nord, les hommes y peuvent descendre ; l’autre, au midi, est sacrée ; les hommes n’y passent point ; c’est le chemin des déesses. » Voilà un morceau descriptif fort simple et fort gracieux, et dont tous les détails s’expliquent parfaitement par ce fétichisme embelli qui attachait une divinité à chaque site, à chaque fontaine, à tous les accidens de la nature champêtre. Eh bien ! on n’imaginerait point combien de