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vague dans son ensemble, voulut restaurer le passé, voulut hâter l’avenir, et tenta une conciliation entre le polythéisme et la philosophie, entre l’Orient et la Grèce. En cela, il obéissait tout à la fois et aux circonstances réactionnaires de son temps et aux dispositions propres à son génie. En effet, élève de Socrate et nourri d’Homère, dont il emprunte si souvent les expressions, il tenait, par son goût pour le raisonnement et pour les arts, à l’esprit progressif de la race hellénique ; mais en même temps, par ses rapports avec les pythagoriciens, par ses souvenirs d’Égypte et par l’éclat de son imagination, il était éminemment enclin à s’envoler dans les abstractions indéfinies, et à s’y revêtir de formes énigmatiques. Tout résonne dans ses écrits d’un écho oriental ; son plan de république rétablit la caste sacerdotale au profit des philosophes, annulant ainsi l’indépendance de la pensée par l’absorption de l’enseignement dans les intérêts politiques ; il veut une science secrète et une croyance populaire, afin de mener les peuples par des fictions, et de les faire vieillir dans une longue enfance. Aussi voulait-il conserver le polythéisme, car, en ce qui concerne les dieux, dit-il, il faut en croire les anciens qui, étant fils des dieux, avaient dû bien connaître leurs pères ; ce qui s’accorde très bien d’ailleurs avec le principe qu’il exprime nettement : que « le mensonge, interdit au vulgaire, est permis aux chefs de l’état dans l’intérêt du gouvernement. »

Voulant donc entraîner l’intelligence grecque dans ce courant d’idées, Platon essaya d’abord d’y ramener Homère, parce qu’il sentait bien sans doute qu’Homère était l’inspirateur avoué de l’intelligence grecque. Pour cela, il fallait détourner le sens philosophique du poète par une interprétation forcée ; c’est pourquoi il commence par supposer à Homère des pensées secrètes, mystiques, comme celles que les Égyptiens prétendaient cachées sous leurs fables : « Il faut étudier les poètes, dit-il dans Ion, en étudier plusieurs, et surtout Homère, le meilleur, le plus divin des poètes ; il faut être jaloux de se pénétrer, non-seulement de ses expressions, mais de sa pensée intime. » Il paraît, au reste, par ce même dialogue, que déjà les rapsodes, non contens de chanter les poèmes d’Homère, s’étaient avisés d’en faire un texte de commentaires philosophiques, et d’y creuser des théories abstraites ; et c’est à quoi Platon les encourage. Qu’entend-il en effet par cette pensée intime ? ce sont des doctrines qu’il suppose y être contenues, et ne pouvoir être comprises qu’après initiation ; car « il ne faut pas, dit-il ailleurs, qu’on aborde les poèmes homériques sans y avoir été initié. » Dans Alcibiade, il s’explique