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PHILOSOPHIE D’HOMÈRE.

la solidité des vues, ce n’est point Platon, dont nous parlerons tout à l’heure, mais Aristote. Aristote résuma les tendances de l’école d’Ionie : l’observation des choses physiques pratiquée par les disciples directs de Thalès, l’observation des phénomènes moraux introduite ou du moins perfectionnée par Socrate. Esprit libre, précis, véritablement grec, voulant faciliter et répandre la science et non l’envelopper d’arcanes, il chercha les lois de l’intelligence, les lois de la volonté, les lois de l’art, afin d’ouvrir et d’éclairer tous les chemins à l’activité humaine. Faut-il dire combien Homère était grand à ses yeux ? Il en fit une édition ; il l’offrit comme un modèle parfait ; il inspira, pour cette noble, magnifique et royale poésie, tant d’enthousiasme à son élève Alexandre, que le jeune conquérant n’en voulait lire d’autre, qu’il la plaça comme son trésor et son talisman dans la riche cassette de Darius, et que la nuit, il la posait sous sa tête comme pour en aspirer le génie. Sans doute cette continuelle inspiration du livre national l’obsédait, et peut-être fut-elle la principale cause de la conquête de l’Asie. Toujours est-il que les victoires d’Alexandre furent des triomphes pour l’esprit philosophique issu d’Homère, car elles le colonisèrent en Asie et en Égypte. Là, cet esprit sema largement l’examen dans les champs de l’antique idolâtrie ; la raison grecque et la tradition asiatique, comme deux palmiers de sexe différent que leur séparation laissait stériles, s’y fécondèrent sous le souffle de la Providence, et il en sortit un fruit nouveau destiné à nourrir une ère nouvelle du genre humain.

Maintenant il faut revenir à Platon. Jusqu’à lui, l’école orientale religieuse, et l’école grecque rationaliste, ayant entre elles Homère comme signe de contradiction, comme drapeau que les uns voulaient défendre et les autres déchirer, avaient formé deux camps bien distincts. Mais la mort de Socrate fut un avertissement terrible pour le rationalisme trop hardiment agresseur. Peut-être le peuple athénien avait-il raison de défendre ses vieux symboles aussi long-temps qu’on ne lui en fournissait pas d’autres, car il en fallait : la philosophie d’ailleurs n’était pas encore assez exercée pour pouvoir tirer du panthéon croulant de l’antiquité les dogmes profonds enterrés dans ses cryptes. Il fallait donc que symboles et raison continuassent à vieillir, les uns tombant pierre à pierre, et l’autre s’édifiant, dans l’ombre du doute, comme un temple au dieu inconnu, jusqu’à ce qu’une illumination soudaine y fit jaillir la foi, et y appelât les nations futures. Mais Platon ne l’entendit pas ainsi ; cet homme à jamais célèbre, ce nuage d’Occident, si obscur d’un côté, si lumineux de l’autre, et si