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PHILOSOPHIE D’HOMÈRE.

Il fallut plus de temps à la statuaire qu’à la poésie pour en venir là, car la parole est vive et journalière, tandis que le ciseau est lent et rare ; mais, pour l’une comme pour l’autre, ce fut une même tendance à délaisser les formes fantastiques pour celles de la nature. La statuaire coopérait donc à la poésie ; elle rejetait ce qu’il y avait d’essentiellement idolatrique dans la religion issue de l’Orient ; elle relevait la dignité humaine en face du vieux panthéisme, en prenant la figure visible de l’homme comme expression des attributs invisibles de Dieu. Lorsque les peuples adressaient leurs hommages à de vieilles et informes figures en bois ou en pierre, qu’on croyait tombées du ciel, telles que les simulacres de Phtha que Cambyse jeta au feu à Memphis, ou cette Junon d’Argos qui avait déjà quinze cents ans de popularité du temps de Pausanias, ils étaient idolâtres, car leurs prières ne s’adressaient qu’à la pierre ou au bois qu’aucune idée n’animait ; mais en était-il de même du Jupiter olympien de Phidias ? Non ; ce chef-d’œuvre parlait réellement un langage divin à qui savait l’entendre : car il portait sur son front, dans ses yeux, sur ses lèvres, dans son attitude, un caractère suprême de puissance, d’intelligence et de bonté ; il élevait donc la pensée vers la perfection de Dieu, dont la perfection de l’homme est l’image et la ressemblance, comme dit la Genèse ; et par là il avait réellement, selon le mot de Quintilien, ajouté quelque chose de bon et de vrai à la religion des peuples.

Enfin il nous reste un dernier témoignage à invoquer pour donner aux idées que nous venons d’émettre l’éclat de l’évidence : c’est le témoignage de la philosophie postérieure à Homère.

Aussi long-temps qu’une révolution sociale remue les intérêts, bouleverse les classes et travaille à se constituer dans la vie extérieure, la pensée qui l’anime reste confuse et comme suffoquée dans la poussière du combat ; mais quand les choses sont assises, et que le tumulte a cessé, alors cette pensée crève son enveloppe matérielle, elle s’épanouit, comme le lotus indien, sur l’océan lumineux d’une création nouvelle. C’est ainsi qu’à une certaine époque, la nouvelle société grecque s’étant suffisamment dégagée du chaos matériel produit par l’antagonisme des races, la lutte fécondante entre le génie oriental et le génie grec se choisit un champ de bataille plus aérien : ce ne fut plus qu’une guerre intellectuelle ; les deux races, les deux partis, se transfigurèrent en deux écoles philosophiques. Or, si nous envisageons ces anciennes écoles sous le point de vue particulier de nos recherches, nous trouverons que l’école dont les tendances étaient