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PHILOSOPHIE D’HOMÈRE.

heurtai sur l’île de Lemnos. Il ne me restait plus qu’un peu de respiration ; les gens du pays me ramassèrent de ma chute » La naïve éloquence de Vulcain fit effet ; Junon sourit à l’entendre, et, en souriant, elle prit la coupe. Puis il verse à toutes les autres divinités, et un rire inextinguible s’élève parmi ces bienheureux, lorsqu’ils le voient se trémousser à courir dans la vaste étendue du parvis céleste.

Il y a, dans cette scène, une grace intraduisible ; mais enfin, en se tenant aussi près que possible du sens littéral, on voit bien que c’est de la comédie toute pure. Eh bien ! ces scènes-là n’ont jamais été comprises, puisqu’on leur a donné de très bonne foi une couleur fausse, un ton faux, une dignité qui n’est pas dans le texte, et qui n’y devait pas être ; car, le fond étant comique, la forme devait être aisée et familière. Ainsi, les paroles vulgaires, presque triviales de Vulcain, qui se plaint de ces fâcheuses affaires, qui ne veut pas qu’on trouble sa digestion, qui reproche à ses parens leurs criailleries, leurs croassemens comme il dit (κολῷον ἐλαύνετον) ; voyez comme Bitaubé les travestit en pompeuse rhétorique : « Que de maux funestes vont éclore ! Si pour l’amour des mortels vous vous livrez à ces dissensions, si vous introduisez le tumulte et la discorde parmi les dieux, les doux plaisirs des festins disparaîtront, et le mal va triompher. » Que je ne vous voie pas, ma chère mère, battue sous mes yeux, dit le Vulcain d’Homère. — « Craignez d’éprouver aux yeux d’un fils qui vous aime un traitement rigoureux », dit le Vulcain de Bitaubé. Dans Homère, Jupiter prit un jour Vulcain par le pied et le lança dans l’espace ; mais Bitaubé en a rougi pour le pauvre dieu, et a supprimé la circonstance du pied qui indique si bien le côté satirique de la tradition recueillie par Homère. Mme Dacier n’a pas été moins scandalisée du rire inextinguible ; aussi affirme-t-elle que Jupiter ne riait pas, que Junon souriait seulement, et qu’il n’y avait que des dieux inférieurs qui se permissent une si grande indécence. Osons donc le redire : la plus grande partie de l’Iliade et de l’Odyssée restera lettre close pour quiconque n’y verra pas, à côté de la tragédie des hommes, la comédie des dieux ; une ironie profonde, un rire de l’ame, par lequel la philosophie au berceau, en jouant encore avec les fleurs de l’imagination, proteste déjà contre le polythéisme.

Ceci me paraît si important, que je m’arrêterai sur un autre exemple encore, où la comédie des dieux se développe avec un caractère étrange et magnifique. Il s’agit de la grande bataille des dieux aux XXe et XXIe chants de l’Iliade. On a généralement admiré avec Longin le sublime de cette description ; mais on a déclaré aussi qu’elle dé-