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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

soin de lui dire toutes ces choses, de lui en suggérer beaucoup d’autres ; et bien plutôt, pour mon propre compte, je revois en idée les lieux, les doux coins de terre tranquilles qui se peignent dans ses écrits ; il reste, à qui une fois les a bien connus, un regret de n’y pas toujours vivre. On se demande ce qui y manquerait en effet, à portée de l’amitié discrète, au sein de l’étude suivie, en face de la nature variée et permanente. Il y manquerait bien sans doute de certains petits coins de faubourg, qu’on peut croire, sans flatterie, les plus polis et les mieux éclairés du monde. Mais quoi ? dans cette vie, y aurait-il lieu vraiment à la moindre rouille pour l’esprit, pour le goût ? Serait-ce jamais le cas au mot de Cicéron du fond de sa Cilicie : Urbem, urbem, mi Rufe, cole, et in istâ luce vive ? Un peu d’accent peut-être, à la longue, à la fin, marquerait la parole, — un peu d’accent tout au plus, et que nul n’apercevrait. Et qu’importe, si on avait le fond, si on était heureux et sage, si les dissipations de l’ame s’amortissaient ? Et je me rappelais ces vers sentis qu’une muse du Léman adressait au noble poète Mickiewicz, lorsqu’hier la France le disputait à l’humble canton qui n’avait pas désespéré de le garder :

Dans nos vergers tout devient rêverie,
Vague bonheur que l’on garde à genoux,
Frais souvenir, souci de bergerie,
Clos d’une haie ainsi que la prairie ;
Plaisirs du cœur que le cœur seul varie ; …
Consolez-vous !

Il a été fort question d’idylle en tout ceci : nous ne pouvions mieux la clore.


Sainte-Beuve.