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endort profondément. Le lendemain, au réveil, c’était dimanche ; la foule va venir, il n’est plus l’heure de s’esquiver. Par bonheur, l’orgue (Charles s’en ressouvient à temps) est en réparation et ne doit pas jouer ce jour-là ; il s’y cache. La prière commence ; M. Prévère ouvre la Bible et y lit ces mots comme texte du discours qu’il va prêcher : Quiconque reçoit ce petit enfant en mon nom, il me reçoit. En effet, le bruit s’était répandu, par la paroisse, du refus du chantre, du départ de Charles ; on plaignait l’un, mais on approuvait l’autre. Le cœur de M. de Prévère s’en est brisé, et il s’échappe devant tous en de chrétiennes plaintes. Éloquent et miséricordieux sermon durant lequel Louise, avant la fin, est obligée de sortir, qui fait fondre en pleurs tout l’auditoire, et amollit le chantre lui-même et sa dure nature ! Trois jours après, à Genève, Charles, qui s’y est rendu en sortant de sa niche, dès qu’il l’a pu, reçoit du chantre une lettre qu’il faut lire en son idiome natif, et, jointe à la lettre, la montre de famille, gage des fiançailles.

On entrevoit assez sur cette simple esquisse tout un cadre ouvert à une attrayante vérité. Est-il besoin, pour la confirmer, de dire que le fond de ce naturel tableau procède de souvenirs qui appartiennent à la première enfance de l’auteur ? La cure, c’est le village de Satigny ; l’original de M. Prévère, du pasteur comme se l’est peint la tendre imagination de l’enfant, a réellement existé ; il existe encore ; c’est, m’assure-t-on, M. Cellérier, aujourd’hui courbé sous les ans et les travaux, le père du recteur actuel de l’Académie, et dont les sermons, plusieurs fois réimprimés, sont bien connus des protestans. Toutefois l’admirable discours de M. Prévère paraît avoir été plutôt inspiré de la manière de Réguis, éloquence simple et mâle, et qui rappelle la belle école française[1]. L’exécution générale du style, dans ce que j’appelle l’idylle, reste à la fois naturelle et neuve, pleine de particularités et d’accidens, riche d’accent et de couleur ; c’est un style dru ; il sent son paysage. Les quelques taches de diction qu’on y peut surprendre seraient aussi aisées à enlever que des grains de poussière sur le feuillage verdoyant qui entoure la mare.

Les livres suivans du Presbytère, qui, à cause de leur spécialité et

  1. Réguis, curé dans le diocèse d’Auxerre et ensuite dans celui de Gap, à une époque peu éloignée de la révolution française. Son nom manque dans toutes nos biographies ; il n’est connu que des protestans. Pour l’énergie et l’onction, il a des parties du grand orateur chrétien. On a réimprimé ses discours en deux volumes (in-8o, Genève, 1829), sous le titre de la Voix du Pasteur ; mais, pour les mieux accommoder à l’édification des fidèles réformés, on en a souvent modifié le texte.