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VINETTI.

— Quoi de plus simple ? reprit Frédéric. Notre jeune amie a par mégarde déposé dans la terre cette bulbe singulière, et le germe, après avoir dormi en Égypte des milliers d’années, se ravisant ici, est devenu une belle fleur. Qui pourra comprendre le mystère de la végétation, assigner à la nature l’heure et le lieu ? qui pourra dire au principe de vie enfermé dans le germe ou la bulbe d’une plante : tu te développeras ici, et non là ; aujourd’hui, et non demain ? Que d’expériences semblables n’a-t-on pas faites avec des grains de blé trouvés à Pompeï ! Non, il n’y a point entre nous et le passé tant de distance que l’on croit ; aujourd’hui encore l’antiquité nous enveloppe et nous enivre, nous respirons son souffle, nous cueillons ses fleurs ; l’action du passé est immédiate : que parlez-vous de siècles ? Il n’y a point de siècles, le passé tout entier se résume dans ce seul mot : Hier ! Hier donc la fleur mystérieuse s’est développée durant la nuit, et maintenant, splendide amaryllis d’azur, s’épanouit à nos yeux par prodige ! — Mais dis-nous, Melchior, comment la bulbe précieuse est tombée entre tes mains, car il me semble qu’alors seulement nous pourrons goûter à loisir tous les charmes de cette merveilleuse énigme.

— Volontiers ; mais c’est toute une longue histoire à dévider. Notre belle jardinière s’était assise sur un coussin dans l’herbe, sa petite tête blonde doucement appuyée sur l’épaule de son époux, ses pieds mignons perdus dans les touffes de clochettes et de marguerites ; on se tut, et l’attention de tous se porta sur l’histoire de cette fleur, sur ce conte bleu qui s’épanouissait devant nous.

II.

Plusieurs fois déjà, dit Melchior en commençant, je vous ai entretenus de mon séjour dans la Basse-Saxe et de mes fréquentes excursions sur les côtes de la mer allemande. Napoléon, de retour d’Égypte, venait de s’abattre sur l’Italie comme un jeune aigle ; la victoire s’attachait partout à ses drapeaux, et moi, pour échapper à tout ce grand bruit de la politique et de la guerre, j’entrepris de visiter les côtes solitaires de la mer. Cependant depuis deux jours j’avais perdu l’Océan de vue, lorsque, non loin des frontières de Hollande, au pied d’un misérable village de pêcheurs, je le retrouvai, je puis le dire, dans toute son impétueuse magnificence. La tempête, qui depuis plusieurs nuits soulevait la mer dans ses