Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/863

Cette page a été validée par deux contributeurs.
855
POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

vérité simple, la grace rustique et naturelle, la belle humeur et la moquerie sans ironie. D’ordinaire, il y intervient un touriste ridicule, un Anglais gourmé, un Français entreprenant, une jeune fille charmante et qu’on protége, et qu’il faut trop tôt quitter. J’y vois une sorte de protestation modeste et de reprise en action contre les trop spirituelles impressions de voyage et les enjambées de nos grands auteurs, par quelqu’un du terroir, et qui, ayant beaucoup laissé dire, se décide à son tour à raconter. Chaque année en effet, en de certains mois, les voyageurs fondent sur la Suisse de tous les points de l’horizon, comme des volées d’étourneaux qui s’abattent. C’est une manière de transformation civilisée des anciennes invasions barbares : il y a aussi, selon le plus ou moins de talent, les simples pillards et les conquérans. Ils sont jugés les uns et les autres très justement, très finement, par les humbles habitans ou naturels du lieu (comme dit George Sand), qui souffrent dans leur cœur de ces légèretés de passage, qui s’en affligent pour les objets de leur culte, et qui, entre soi, après, se gaussent des railleurs. M. Töpffer répond à ce sentiment local dans ses gouaches franches sans hâblerie et sans pompe.

Chose bien singulière et petite moralité à tirer pour nous chemin faisant ! nous autres Français qui, en France et chez nous, distinguons si parfaitement les Gascons et croyons leur fixer leur part, une fois à l’étranger, nous faisons tous un peu l’effet de l’être.

La Peur est un récit minutieux et dramatique d’une impression d’enfance. Agé de sept ans environ, le jeune enfant se promenait en un certain lieu solitaire, et non loin du cimetière de la ville, avec son digne aïeul qui lui servait presque de camarade, comme c’est la coutume des excellens grands-pères, depuis le bonhomme Laërte jusqu’à grand-papa Guérin[1]. Mais, au milieu des jeux folâtres et au sortir du bain qu’il prend en s’ébattant dans une petite anse, voilà tout d’un coup qu’à la vue d’un débris, ou, pour parler net, d’une carcasse de cheval étendue sur le sable, l’idée obscure de la mort se pose à lui pour la première fois : un vague frisson l’a saisi pour tout le reste du jour. L’année suivante, son aïeul meurt, et l’enfant, qui suit le convoi sans trop savoir, se retrouve tout ému

  1. Le vieil et célèbre avocat Loisel, retiré à Chevilly, près Villejuif, tout à la fin de ses jours, et n’y ayant pour compagnie que son petit-fils, a fait ce distique charmant :

    Quis civilliacâ lateat si quæris eremo,
    Laertesque senex, Telemachusque puer
    .