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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

À Genève, les pensionnats participent à la vie et à la moralité de la famille. Obligé par métier de rester un grand nombre d’heures chaque jour dans une classe peuplée de nombreux garçons, M. Töpffer prit l’habitude de se dédommager par la plume de ce que lui refusait le pinceau. Il ne visait pas d’abord à être auteur ; maître chéri et familier de ses élèves, c’étaient d’abord de petites comédies qu’il écrivait pour leur divertissement. Chaque année, à la belle saison, se mettant à la tête de la jeune bande, il employait les vacances à les guider, le sac sur le dos, dans de longues et vigoureuses excursions pédestres à travers les divers cantons, par les hautes montagnes et jusque sur le revers italien des Alpes. Au retour et durant les soirées d’hiver, il en écrivait pour eux des relations détaillées et illustrées. Quelques-unes des nouvelles même qu’il a publiées depuis, le Col d’Anterne, la Vallée de Trient, me paraissent rendre assez bien l’effet de Sandfort et Merton adultes, d’une saine et noble jeunesse ayant l’assurance modeste et la délicatesse native, comme les Morton de Walter Scott.

Le peintre cependant ne pouvait tout-à-fait s’abdiquer ; le trait lui fournit jusqu’à un certain point ce qu’il avait espéré de la couleur. Aux heures de gaieté, M. Töpffer composa et dessina, sous les yeux de ses élèves, ces histoires folles mêlées d’un grain de sérieux (M. Vieux-Bois, M. Jabot, le docteur Festus, M. Pencil, M. Crépin). Les albums grotesques coururent de main en main, et il arriva qu’un ami de l’auteur, passant à Weymar, fit voir je ne sais lequel à Goethe. Le grand-prêtre de l’art, qui ne dédaignait rien d’humain, y prit goût et voulut voir les autres : tous les cahiers à la file se mirent en route pour Weymar. Goethe en dit un mot dans un numéro du journal Kunst und Alterthum. Il sembla dès-lors à M. Töpffer que, sur ce visa du maître, les gens pourraient bien s’en accommoder, et, à son loisir, il autographia plusieurs de ces fantaisies. Les cinq qu’il a publiées[1] ont eu grand succès auprès des amateurs et connaisseurs ; je n’en pourrais donner idée à qui ne les a pas vues. Ce genre d’humour se traduit peu par des paroles ; la seule manière de le louer, c’est de le goûter et d’en rire.

Je ne sais qui l’a dit le premier : règle générale, la plaisanterie d’une nation ressemble à son mets ou à sa boisson favorite. Ainsi la plaisanterie de Swift est du pudding, comme celle de Teofilo Folengo

  1. M. Aubert en a contrefait trois ici, à Paris, mais il n’en faudrait pas juger par-là.