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Genève et qui se soit exercé sur des sujets étrangers, mais un romancier du cru et qui a vraiment racine dans le sol. Étudions-le donc un peu à fond, comme nous avons fait une autre fois pour Mme de Charrière.

M. Rodolphe Töpffer est né à Genève le 17 février 1799, en nonante-neuf, comme on y dit encore ; il se trouve antérieur de quelques années, par la date de sa naissance, à cette génération romantique qui, vers 1828, se remua à Genève ou à Lausanne, à laquelle appartiennent les deux poètes Olivier de là-bas, et d’où nous sont venus ici Imbert Galloix pour y mourir, et M. Charles Didier à travers son grand tour d’Italie. Les parens de M. Töpffer, comme le nom l’indique, sont d’origine allemande, et on pourra, si l’on veut, en retrouver quelque trace dans le talent naïf et affectueux de leur fils. Pourtant Genève a cela de particulier, ce me semble, de s’assimiler très vite et cordialement l’étranger qui s’y naturalise ; c’est un petit foyer très fort et qui opère de près sa fusion. Quant à la langue, on conçoit que l’effet de ces mélanges y reste plus sensible, et que, de tous ces styles continuellement versés et déteignant l’un sur l’autre, il résulte une couche superficielle un peu neutre, précisément ce style mixte que nous accusons.

Mais le jeune Rodolphe Töpffer paraît avoir été d’abord comme un enfant de la pure cité de Genève et de la vieille souche. Né dans un quartier du haut, habitant derrière le temple Saint-Pierre, près de la prison de l’Évêché, en cette maison même, dite de la Bourse française, où se passe toute l’Histoire de Jules, il nous a décrit, dans ce touchant ouvrage, ses premières impressions, ses rêves à la fenêtre, tandis que, par-dessus le feuillage de l’acacia, il regardait les ogives du temple, la prison d’en face et la rue solitaire. Son père, encore vivant, est un peintre spirituel, estimé, et connu de ceux des artistes de Paris dont les débuts ne sont pas de trop fraîche date. Cet excellent père, éclairé par l’expérience, et qui avait conquis lui-même son instruction, la voulut ménager à son fils de bonne heure, et pour cela il eut à lutter contre les goûts presque exclusifs d’artiste que dénotait le jeune enfant. Celui-ci se sentait peintre en effet, et aurait voulu en commencer l’apprentissage incontinent : le père tint bon et exigea qu’avant de s’y livrer, son fils eût achevé le cours entier de ses études. Le jeune Rodolphe étudia donc, jusqu’à l’âge de dix-huit ans, mais à la façon de Jules, en attendant, et non sans bien des croquis entre deux bouquins, non sans de fréquentes distractions à la vitre. Les chapitres sur la flânerie qui ouvrent la Bibliothèque de mon oncle sont,