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UN HIVER AU MIDI DE L’EUROPE.

arbres distincts, et qui représente tous ces monstres divers, pour se réunir en une seule tête, horrible comme celle des fétiches indiens, et couronnée d’une seule branche verte comme d’un cimier. Les curieux qui jetteront un coup d’œil sur les planches de M. Laurens, ne doivent pas craindre qu’il ait exagéré la physionomie des oliviers qu’il a dessinés. Il aurait pu choisir des spécimens encore plus extraordinaires, et j’espère que le Magasin pittoresque, cet amusant et infatigable vulgarisateur des merveilles de l’art et de la nature, se mettra en route un beau matin pour nous en rapporter quelques échantillons de premier choix.

Mais pour rendre le grand style de ces arbres sacrés d’où l’on s’attend toujours à entendre sortir des voix prophétiques, et le ciel étincelant où leur âpre silhouette se dessine si vigoureusement, il ne faudrait rien moins que le pinceau hardi et grandiose de Rousseau. Les eaux limpides où se mirent les asphodèles et les myrtes appelleraient Dupré. Des parties plus arrangées et où la nature, quoique libre, semble prendre, par excès de coquetterie, des airs classiques et fiers, tenteraient le sévère Corot. Mais pour rendre les adorables fouillis où tout un monde de graminées, de fleurs sauvages, de vieux troncs et de guirlandes éplorées se penche sur la source mystérieuse où la cigogne vient tremper ses longues jambes, j’aurais voulu avoir, comme une baguette magique, à ma disposition, le burin de Huet dans ma poche.

Combien de fois, en voyant un vieux chevalier majorquin au seuil de son palais jauni et délabré, n’ai-je pas songé à Decamps, le grand maître de la caricature sérieuse et ennoblie jusqu’à la peinture historique, l’homme de génie qui sait donner de l’esprit, de la gaieté, de la poésie, de la vie en un mot, aux murailles même ! Les beaux enfans basanés qui jouaient dans notre cloître, en costume de moines, l’auraient diverti au suprême degré. Il aurait eu là des singes à discrétion, et des anges à côté des singes, des pourceaux à face humaine, puis des chérubins mêlés aux pourceaux et non moins malpropres ; Périca, belle comme Galathée, crottée comme un barbet, et riant au soleil comme tout ce qui est beau sur la terre.

Mais c’est vous, Eugène, mon vieux ami, mon cher artiste, que j’aurais voulu mener la nuit dans la montagne lorsque la lune éclairait l’inondation livide. Ce fut une belle campagne où je faillis être noyé avec mon pauvre enfant de quatorze ans, mais où le courage ne lui manqua pas, non plus qu’à moi la faculté de voir comme la nature s’était faite ce soir-là archi-romantique, archi-folle et archi-sublime.