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gnififque magnifique d’aspects. Mais notre malade, alors bien portant (c’était au commencement de notre séjour à Majorque), voulut nous accompagner, et en ressentit une fatigue qui détermina l’invasion de sa maladie. Notre but était un ermitage situé au bord de la mer, à trois milles de la Chartreuse. Nous suivîmes le bras droit de la chaîne, et montâmes de colline en colline, par un chemin pierreux qui nous hachait les pieds, jusqu’à la côte nord de l’île. À chaque détour du sentier, nous eûmes le spectacle grandiose de la mer, vue à des profondeurs considérables, au travers de la plus belle végétation. C’était la première fois que je voyais des rives fertiles, couvertes d’arbres et verdoyantes jusqu’à la première vague, sans falaises pâles, sans grèves désolées, et sans plage limoneuse. Dans tout ce que j’ai vu des côtes de France, même sur les hauteurs de Port-Vendres, où elle m’apparut enfin dans sa beauté, la mer m’a toujours semblé sale ou déplaisante à aborder. Le Lido tant vanté de Venise a des sables d’une affreuse nudité, peuplés d’énormes lézards qui sortent par milliers sous vos pieds, et semblent vous poursuivre de leur nombre toujours croissant comme dans un mauvais rêve. À Royant, à Marseille, presque partout, je crois, sur nos rivages, une ceinture de varechs gluans et une arène stérile nous gâtent les approches de la mer. À Majorque, je la vis enfin comme je l’avais rêvée, limpide et bleue comme le ciel, doucement ondulée comme une plaine de saphir régulièrement labourée en sillons dont la mobilité est inappréciable, vue d’une certaine hauteur, et encadrée de forêts d’un vert sombre. Chaque pas que nous faisions sur la montagne sinueuse nous présentait une nouvelle perspective toujours plus sublime que la dernière. Néanmoins, comme il nous fallut redescendre beaucoup pour atteindre l’ermitage, la rive en cet endroit, quoique très belle, n’eut pas le caractère de grandeur que je lui trouvai en un autre endroit de la côte, quelques mois plus tard. Les ermites, qui sont établis là au nombre de quatre ou cinq, n’avaient aucune poésie. Leur habitation est aussi misérable et aussi sauvage que leur profession le comporte, et de leur jardin en terrasse, que nous les trouvâmes occupés à bêcher, la grande solitude de la mer s’étend sous leurs yeux ; mais ils nous parurent, personnellement, les plus stupides du monde, ils ne portaient aucun costume religieux. Le supérieur quitta sa bêche et vint à nous en veste ronde et en pantalon de drap bège ; ses cheveux courts et sa barbe sale n’avaient rien de pittoresque. Il nous parla des austérités de la vie qu’il menait, et surtout du froid intolérable qui régnait sur ce rivage ; mais, quand nous lui demandâmes s’il y