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encouragé dans son erreur par mes flatteries ; je n’avais pas seulement un garçon de bureau ou un huissier de la chambre sur la conscience, pas même une révérence à un gendarme ou à un journaliste ! Heureusement le chartreux pharmacien nous vendit du benjoin exquis, reste de la provision de parfums dont on encensait naguère, dans l’église de son couvent, l’image de la Divinité, et cette émanation céleste combattit victorieusement, dans notre cellule, les exhalaisons du huitième fossé de l’enfer.

Nous avions un mobilier splendide, des lits de sangle irréprochables, des matelas peu mollets, plus chers qu’à Paris, mais neufs et propres ; de ces grands et excellens couvre-pieds en indienne ouatée et piquée, que les juifs vendent assez bon marché à Palma. Une dame française, établie dans le pays, avait eu la bonté de nous céder quelques livres de plume qu’elle avait fait venir pour elle de Marseille, et dont nous avions fait deux oreillers à notre malade. C’était certes un grand luxe dans une contrée où les oies passent pour des êtres fantastiques, et où les poulets ont des démangeaisons même en sortant de la broche. Nous possédions plusieurs tables, plusieurs chaises de paille comme celles qu’on voit dans nos chaumières de paysans, et un sofa voluptueux en bois blanc avec des coussins de toile à matelas rembourrés de laine. Le sol très inégal et très poudreux de la cellule était couvert de ces nattes valenciennes à longues pailles qui ressemblent à un gazon jauni par le soleil, et de ces belles peaux de mouton à longs poils, d’une finesse et d’une blancheur admirable, qu’on prépare fort bien dans le pays. Comme chez les Africains et les Orientaux, il n’y a point d’armoires dans les anciennes maisons de Majorque, et surtout dans les cellules de chartreux. On y serre ses effets dans de grands coffres de bois blanc. Nos malles de cuir jaune pouvaient passer là pour des meubles très élégans. Un grand châle-tartan bariolé, qui nous avait servi de tapis de pied en voyage, devint une portière somptueuse devant l’alcôve, et mon fils orna le poêle d’une de ces charmantes urnes d’argile de Felanitx[1], dont la

  1. Felanitx est un village de Majorque qui mériterait d’approvisionner l’Europe de ses jolis vases, si légers qu’on les croirait de liège, et d’un grain si fin, qu’on en prendrait l’argile pour une matière précieuse. On fait là de petites cruches d’une forme exquise dont on se sert comme de carafes, et qui conservent l’eau dans un état de fraicheur admirable. Cette argile est si poreuse, que l’eau s’échappe à travers les flancs du vase, et qu’en moins d’une demi-journée il est vide. Je ne suis pas physicien le moins du monde, et peut-être la remarque que j’ai faite est plus que niaise ; quant à moi, elle m’a semblé merveilleuse, et mon vase d’argile m’a souvent paru enchanté. Nous le laissions rempli d’eau sur le poêle dont la table en fer était