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les colons qui travaillaient les biens des couvens n’éprouvaient pas de grandes rigueurs, quant à la quotité comme à la régularité des fermages. Les moines, sans avenir, ne thésaurisaient pas, et, du moment où les biens qu’ils possédaient suffisaient aux exigences de l’existence matérielle de chacun d’eux, ils se montraient fort accommodans pour tout le reste. La brusque spoliation des moines blessait donc les calculs de fainéantise et d’égoïsme des paysans : ils comprirent fort bien que le gouvernement et le nouveau propriétaire seraient plus exigeans qu’une corporation de parasites sans intérêts de famille ni de société. Les mendians qui pullulaient aux portes du réfectoire ne reçurent plus les restes d’oisifs repus. »

Le carlisme des paysans majorquins ne peut s’expliquer que par des raisons matérielles, car il est impossible, d’ailleurs, de voir une province moins liée à l’Espagne par un sentiment patriotique, ni une population moins portée à l’exaltation politique. Au milieu des vœux secrets qu’ils formaient pour la restauration des vieilles coutumes, ils étaient cependant effrayés de tout nouveau bouleversement, quel qu’il pût être, et l’alerte qui avait fait mettre l’île en état de siége, à l’époque de notre séjour, n’avait guère moins effrayé les partisans de don Carlos à Majorque que les défenseurs de la reine Isabelle. Cette alerte est un fait qui peint assez bien, je ne dirai pas la poltronnerie des Majorquins (je les crois très capables de faire de bons soldats), mais les anxiétés produites par le souci de la propriété et l’égoïsme du repos. Un vieux prêtre rêva une nuit que sa maison était envahie par des brigands ; il se lève tout effaré, sous l’impression de ce cauchemar, et réveille sa servante ; celle-ci partage sa terreur, et, sans savoir de quoi il s’agit, réveille tout le voisinage par ses cris. L’épouvante se répand dans tout le hameau, et de là dans toute l’île. La nouvelle du débarquement de l’armée carliste s’empare de toutes les cervelles, et le capitaine-général reçoit la déposition du prêtre, qui, soit la honte de se dédire, soit le délire d’un esprit frappé, affirme qu’il a vu les carlistes. Sur-le-champ toutes les mesures furent prises pour faire face au danger : Palma fut déclaré en état de siége, et toutes les forces militaires de l’île furent mises sur pied. Cependant rien ne parut, aucun buisson ne bougea, aucune trace d’un pied étranger ne s’imprima, comme dans l’île de Robinson, sur le sable du rivage. L’autorité punit le pauvre prêtre de l’avoir rendue ridicule, et, au lieu de l’envoyer promener comme un visionnaire, l’envoya en prison comme un séditieux. Mais les mesures de précaution ne furent pas révoquées, et, lorsque nous quittâmes Major-