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Je ne puis continuer mon récit sans achever de compulser les annales dévotes de Valldemosa ; car, ayant à parler de la piété fanatique des villageois avec lesquels nous fûmes en rapport, je dois mentionner la sainte dont ils s’enorgueillirent et dont ils nous ont montré la maison rustique.

« Valldemosa est aussi la patrie de Catalina Tomas, béatifiée en 1792

    Van à regar es claveller,
    Dihent-li : Veu ! jà que no menjes !

    « Les jeunes filles, tous les dimanches,
    « Lorsqu’elles n’ont rien de mieux à faire,
    « Vont arroser le pot d’œillets,
    « Et lui disent : Bois, puisque tu ne manges pas ! »

    La musique qui accompagne les paroles de la jeune fille est rhythmée à la mauresque, dans un ton tristement cadencé qui vous pénètre et vous fait rêver.

    Cependant la mère prévoyante qui a entendu la jeune fille ne manque pas de lui répondre :

    Atlotes, filau ! filau !
    Que sa camya se riu ;
    Y sino l’apadassau,
    No v’s arribar’à s’estiu !

    « Fillettes, filez ! filez !
    « Car la chemise va s’usant ; (Littéralement, la chemise rit.)
    « Et, si vous n’y mettez une pièce,
    « Elle ne pourra vous durer jusqu’à l’été. »

    Le mallorquin, surtout dans la bouche des femmes, a pour l’oreille des étrangers un charme particulier de suavité et de grace. Lorsqu’une Mallorquine vous dit ces paroles d’adieu, si doucement mélodieuses :

    « Bona nit tengua ! es meu cô no basta per di li : Adios ! »

    « Bonne nuit ! mon cœur ne suffit pas à vous dire : Adieu ! »

    il semble qu’on pourrait noter la molle cantilène comme une phrase musicale.

    Après ces échantillons de la langue vulgaire mallorquine, je me permettrai de citer un exemple de l’ancienne langue académique. C’est le Mercader mallorqui (le marchand mallorquin), troubadour du XIVe siècle, qui chante les rigueurs de sa dame et prend ainsi congé d’elle :

    Cercats d’uy may, jà siats bella e pros,
    ’quels vostres pres, e laus, e ris plesents ;
    Car vengut es lo temps que m’aurets mens.
    No m’aucirà vostre ’sguard amoros,
    Ne la semblança gaya ;
    Car trobat n’ay
    Altra qui m’play,
    Sol que lui playa !