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UN HIVER AU MIDI DE L’EUROPE.

caractère oriental de cet ajustement. Dans les maisons, ils roulent autour de leur tête un foulard ou un mouchoir d’indienne en manière de turban, qui leur sied beaucoup mieux. L’hiver, ils ont souvent une calotte de laine noire qui couvre leur tonsure, car ils se rasent comme des prêtres le sommet de la tête, soit par mesure de propreté, et Dieu sait que cela ne sert pas à grand chose ! soit par dévotion. Leur vigoureuse crinière bouffante, rude et crépue, flotte donc (autant que du crin peut flotter) autour de leur cou. Un trait de ciseau sur le front complète cette chevelure, taillée exactement à la mode du moyen-âge, et qui donne de l’énergie à toutes les figures.

Dans les champs, leur costume, plus négligé, est plus pittoresque encore. Ils ont les jambes nues ou couvertes de guêtres de cuir jaune jusqu’aux genoux, suivant la saison. Quand il fait chaud, ils n’ont pour tout vêtement que la chemise et le pantalon bouffant. Dans l’hiver, ils se couvrent ou d’une cape grise qui a l’air d’un froc de moine, ou d’une grande peau de chèvre d’Afrique, avec le poil en dehors. Quand ils marchent par groupes avec ces peaux fauves traversées d’une raie noire sur le dos, et tombant de la tête aux pieds, on les prendrait volontiers pour un troupeau marchant sur les pieds de derrière. Presque toujours, en se rendant aux champs ou en revenant à la maison, l’un d’eux marche en tête jouant de la guitare ou de la flûte, et les autres suivent en silence, emboîtant le pas, et baissant le nez d’un air plein d’innocence et de stupidité. Ils ne manquent pourtant pas de finesse, et bien sot qui se fierait à leur mine. Ils sont généralement grands, et leur costume, en les rendant très minces, les fait paraître plus grands encore. Leur cou, toujours exposé à l’air, est beau et vigoureux ; leur poitrine, libre de gilets étroits et de bretelles, est ouverte et bien développée. Mais ils ont presque tous les jambes arquées. Nous avons cru observer que les vieillards et les hommes mûrs étaient, sinon beaux dans leurs traits, du moins graves et d’un type noblement accentué. Ceux-là ressemblent tous à des moines. La jeune génération nous a semblé commune et d’un type grivois, qui rompt tout à coup la filiation. Les moines auraient-ils cessé d’intervenir dans l’intimité domestique, depuis une vingtaine d’années seulement ?

J’ai dit plus haut que je cherchais à surprendre le secret de la vie monastique dans ces lieux, où sa trace était encore si récente. Je n’entends point dire par là que je m’attendisse à découvrir des faits mystérieux, relatifs à la Chartreuse en particulier ; mais je demandais à ces murs abandonnés de me révéler la pensée intime des reclus