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UN HIVER AU MIDI DE L’EUROPE.

Pour atteindre la Chartreuse, il faut mettre pied à terre ; car aucune charrette ne peut gravir le chemin pavé qui y mène, chemin admirable à l’œil par son mouvement hardi, ses sinuosités parmi de beaux arbres, et les sites ravissans qui se déroulent à chaque pas, grandissant de beauté à mesure qu’on s’élève. Je n’ai rien vu de plus riant et de plus mélancolique en même temps que ces perspectives où le chêne vert, le caroubier, le pin, l’olivier, le peuplier et le cyprès marient leurs nuances variées en berceaux profonds, véritables abîmes de verdure, où le torrent précipite sa course sous des buissons d’une richesse somptueuse et d’une grace inimitable. Je n’oublierai jamais un certain détour de la gorge où, en se retournant, on distingue, au sommet d’un mont, une de ces jolies maisonnettes arabes que j’ai décrites, à demi cachée dans les raquettes de ses nopals, et un grand palmier qui se penche sur l’abîme en dessinant sa silhouette dans les airs. Quand la vue des boues et des brouillards de Paris me jette dans le spleen, je ferme les yeux et je revois, comme dans un rêve, cette montagne verdoyante, ces roches fauves et ce palmier solitaire perdu dans un ciel rose.

La chaîne de Valldemosa s’élève de plateaux en plateaux resserrés jusqu’à une sorte d’entonnoir entouré de hautes montagnes et fermé au nord par le versant d’un dernier plateau à l’entrée duquel repose le monastère. Les chartreux ont adouci, par un travail immense, l’âpreté de ce lieu romantique. Ils ont fait du vallon qui termine la chaîne un vaste jardin ceint de murailles qui ne gênent point la vue, et auquel une bordure de cyprès à forme pyramidale, disposés deux à deux sur divers plans, donne l’aspect arrangé d’un cimetière d’opéra. Ce jardin, planté de palmiers et d’amandiers, occupe tout le fond incliné du vallon, et s’élève en vastes gradins sur les premiers plans de la montagne. Au clair de la lune, et lorsque l’irrégularité de ces gradins est dissimulée par les ombres, on dirait d’un amphithéâtre taillé pour des combats de géans. Au centre et sous un groupe de beaux palmiers, un réservoir en pierre reçoit les eaux de source de la montagne, et les déverse aux plateaux inférieurs par des canaux en dalles, tout semblables à ceux qui arrosent les alentours de Barcelone. Ces ouvrages sont trop considérables et trop ingénieux pour n’être pas, à Majorque comme en Catalogne, un travail des Arabes. Ils parcourent tout l’intérieur de l’île, et ceux qui partent du jardin des chartreux, côtoyant le lit du torrent, portent à Palma une eau vive en toute saison.

La Chartreuse, située au dernier plan de ce col de montagnes, s’ouvre au nord sur une vallée spacieuse qui s’élargit et s’élève en