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REVUE. — CHRONIQUE.

avec toutes ses séductions, pour que la chambre et le cabinet aient pu ainsi résister à l’appel énergique, puissant, d’un ami, d’un homme aussi hautement placé dans l’estime publique que l’est et mérite de l’être M. Jouffroy. Une majorité mêlée, une majorité de transaction, est une nécessité politique, une nécessité que nous nous sommes efforcés de faire sentir depuis long-temps, et qui aujourd’hui enfin frappe tous les esprits. Ajoutons que ce n’est pas là une nécessité passagère, accidentelle, du moment. C’est une condition permanente de notre état social ; seulement elle devient plus saillante lorsque, l’horizon politique n’étant pas chargé de tempêtes, les esprits se laissent aller sans crainte à leurs fantaisies, à leur individualité. Des majorités parfaitement homogènes et compactes ne peuvent pas exister au sein d’une démocratie. Dès-lors tout évangile politique qui n’est pas quelque peu élastique, toute doctrine étroite et exclusive est un anachronisme. Présenter cet évangile aux chambres et leur demander une nombreuse et solide majorité, c’est vouloir des conséquences sans prémisses, des effets sans cause.

Le pays est mêlé, la chambre aussi ; le ministère, pour se conformer à la nature des choses, devrait l’être également. La chambre doit être l’image du pays, et le ministère l’image de la chambre. Toute autre combinaison n’est pas sérieuse, parce qu’elle ne vous donne qu’une faible majorité et met toute chose à la merci d’un homme de mauvaise humeur. De là la faiblesse des administrations qui se succèdent en tombant les unes sur les autres. L’individualisme, dans ses saturnales ministérielles, a brisé tous les liens qui attachaient les uns aux autres nos hommes politiques, et il deviendra bientôt impossible de mettre trois ou quatre hommes considérables dans le même cabinet. De plus en plus les partis se divisent et se subdivisent comme la propriété territoriale. Mais tandis que la division du sol moralise le pays, les divisions entre les hommes produisent un effet diamétralement contraire ; elles nous font une politique si mesquine, pour ne pas employer une expression plus sévère, mais plus juste peut-être, que rien de grand n’est possible dans l’intérêt du pays. Il n’y a pas de grandeur là où il ne peut y avoir ni esprit de suite, ni prévisions lointaines, ni combinaisons profondes, ni persévérance.

Mais il faut se résigner aux maux qui n’ont pas de remède connu. Laissons chacun courir sa bordée. Heureusement, la France et la monarchie, étroitement liées de vues et d’intérêts, peuvent, tout en déplorant les naufrages, ne pas trop s’émouvoir des tempêtes qui agitent leurs rivages.

Il n’est bruit, dans un certain monde, que des dispositions que montre notre gouvernement à entrer dans les conférences européennes et à reprendre à cinq le règlement des affaires orientales. On dit (et s’il était permis de tirer quelque induction des paroles si mesurées de M. le ministre des affaires étrangères à la tribune des députés, nous serions disposés à croire que ces on dit sont fondés), on dit que l’isolement déplaît au cabinet, et qu’il s’applique à seconder les efforts de l’Autriche et de la Prusse pour la reconstitution du concert