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l’ordre social. Elle le demandera à la bourgeoisie tout entière, à M. Berryer comme à M. Odilon Barrot, à M. Thiers comme à M. Guizot, aux riches de la Chaussée-d’Antin et de la rue Saint-Denis comme à ces débris de l’ancienne aristocratie, qui, dans leur inconcevable aveuglement, paraissent fomenter nos discordes civiles et s’en réjouir. Les imprudens !

Quoi qu’il en soit, nul ne croit aujourd’hui au danger, parce qu’on ne le montre pas assez là où il est, et qu’on s’obstine à le signaler là où il n’est pas. Dès-lors les petites passions se donnent libre carrière ; elles se sentent à l’aise, aujourd’hui surtout qu’à la quiétude intérieure vient se joindre la certitude de la paix extérieure. Aussi aurions-nous déjà une crise ministérielle, ne fût-ce le bon sens des hommes sans ambition personnelle et la difficulté de trouver des héritiers au ministère actuel.

Toujours est-il que les membres du cabinet suivaient une tactique adroite et prudente, lorsqu’après l’adresse ils profitaient de leur succès et avançaient dans la carrière à petit bruit, lorsqu’ils accoutumaient ainsi peu à peu la chambre à leurs personnes, à leur parole, à leur administration. Ils émoussaient ici une aspérité, ils calmaient ailleurs un ressentiment ; sans se faire les amis de tout le monde, ils ne se glorifiaient d’aucune inimitié ; sans éviter la lutte, ils ne la cherchaient pas ; sans renoncer à leurs opinions, ils ménageaient toutes les opinions sincères et paisibles. C’est là se conformer à l’esprit du temps ; si l’on veut, à ses faiblesses, à ses misères. Nous ne contestons rien, nous racontons. Enfoncez l’éperon dans les flancs d’un coursier abîmé de fatigue ou rétif, il succombe ou vous renverse : ménagez ses forces et son humeur, il achèvera tant bien que mal sa carrière.

Dans cet état de choses, il est facile de comprendre quel a dû être l’étonnement général lorsque le rapport de la commission des fonds secrets est venu, j’oserais presque dire, éclater sur la chambre comme une fusée incendiaire au milieu d’une trêve, comme un coup de tonnerre en plein soleil. Tout le monde a pu entendre les paroles honnêtes et sensées de ces députés du centre, de ces hommes d’ordre et de gouvernement qui s’écriaient : Qu’est-ce qu’on veut donc ? Faut-il tous les jours remettre tout en question ? recommencer demain de déplorables débats ? laver notre linge sur la place publique, à la face de l’Europe ? La majorité ! vous l’avez, sachez la maintenir, la consolider, l’agrandir par la conduite, par la bonne administration, par des efforts personnels et constans de conciliation, par une action vive, intelligente, modérée. Que voulez-vous faire sortir d’une répétition tardive des débats de l’adresse, de cette colère à froid, de ce bis in idem ? Est-ce pour sceller une majorité composée hier d’élémens si divers et que de longs succès n’ont point encore cimentée, que vous nous conviez à nous reprocher mutuellement le 15 avril et la coalition, la paix à tout prix et la guerre par surprise ? Faut-il que des hommes éminens paraissent de nouveau à la tribune pour se justifier ou pour s’accuser l’un l’autre ? Vous cherchez pour le ministère une preuve de ses succès, une constatation de sa force. Une seule preuve est