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DE LA FORCE DU GOUVERNEMENT ACTUEL.

tiers leur faire tout le mal qu’elles leur souhaitent, et jugent de l’opinion publique par ce qu’elles pensent. Ce qui entretient et déprave les factions, c’est l’espérance. Or, elles espèrent tant qu’elles parlent, et dans un pays libre elles parlent toujours.

Les étrangers n’ont pas autant d’esprit que Napoléon. Ils peuvent bien se tromper comme lui, et juger de la France comme il jugeait de l’Angleterre. Pour eux, naturellement, la liberté est monstrueuse ; on ne saurait exiger qu’ils la supposent compatible avec l’ordre, la puissance, la durée. D’ailleurs, s’ils ne se flattaient pas que la France s’affaiblit par ses lois même, ils la craindraient trop. Ils aiment mieux penser que, menaçante par ses idées, elle est rassurante par ses institutions. Le préjugé leur persuade qu’un état si agité ne peut être fort ; cela convient à leur vanité comme à leur sécurité. C’est leur vengeance secrète que de voir dans ce qui ennoblit les peuples ce qui les énerve. De là, mille efforts pour accréditer en Europe le bruit que la France est annulée par sa politique intérieure. Cette opinion que favorisent parfois les évènemens, se propage et nous revient par les mille voix de la publicité. Il reste toujours dans les cabinets européens quelque chose de cette pensée que Burke exprimait au commencement de notre révolution, que la France est un vide sur la carte de l’Europe ; et comme avec grande raison nous n’y voulons pas faire la réponse de Mirabeau : « Ce vide est un volcan, » nous laissons s’établir peu à peu dans le monde l’illusion que la France peut être dédaignée sans devenir redoutable. Grande illusion sans doute, et dont ne reviendraient pas sans un mécompte terrible et la France et l’Europe.

Mais négligeons les préjugés des factions, même des étrangers ; notre sort n’est pas dans leurs mains. Leurs erreurs seraient indifférentes, si elles ne gagnaient souvent ces hommes de bonne foi que nos institutions ont jetés dans la politique sans que leurs antécédens, leurs habitudes, ni peut-être leurs opinions, ni peut-être leurs intérêts, les aient préparés pour la politique. Nous sommes tous de ces hommes-là. Nous avons tous combattu avec plus ou moins d’ardeur contre le mauvais génie de la restauration, et quand il s’est montré à découvert, nous l’avons renversé. C’était pour nous, classe moyenne, prendre l’engagement de nous charger du gouvernement avec la liberté : engagement redoutable, et qui pouvait se trouver supérieur à nos forces. Et cependant nous avons réussi ; à tout prendre, il y a eu en France, depuis dix ans, du gouvernement et de la liberté. Mais combien le gouvernement nous a paru laborieux, la