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qui en déroberait l’aspect aux voyageurs. Il trace seulement un fossé autour de son domaine et met sur la porte, en grosses lettres, une inscription qui caractérise l’amour qu’il porte à son habitation ; c’est mon repos, ma satisfaction, plaisir de la campagne, vue de la mer et toutes sortes d’autres attributs non moins tendres et non moins poétiques. C’est là que sa famille se retire en été, et c’est là qu’il va chaque dimanche se reposer des travaux et des calculs de la semaine. Sa journée se passe là comme à la ville au milieu des siens et quelquefois dans un très petit cercle d’amis. On ne connaît pas en Hollande le besoin d’avoir sans cesse du monde autour de soi, de faire ou de recevoir des visites et de s’entendre annoncer le soir dans deux ou trois salons. À part La Haye, où les habitudes françaises ont un certain empire, je ne crois pas qu’il y ait dans tout le royaume une ville où un honnête dandy puisse s’en aller, quand bon lui semble, faire parade de l’éclat de son gilet, et de l’irréprochable netteté de ses gants jaunes. La maison hollandaise n’est ouverte qu’aux pareils, aux amis intimes, aux gens d’affaires. Deux ou trois fois dans l’hiver, le riche propriétaire, le banquier donnent un grand bal, ou un dîner. Ce jour-là on ouvre les grands appartemens, on étale toutes les magnificences amassées depuis des siècles dans la maison, on prodigue aux convives les productions de l’Orient et les vins de toute sorte. Puis, le lendemain, la housse retombe sur les meubles en soie et en damas, les porcelaines et les cristaux sont remis dans l’armoire, le grand salon est fermé, la famille redescend dans ses petits appartemens et rentre dans son repos. Tout le jour les femmes sont occupées du soin de leur ménage, le soir elles restent avec leurs enfans, et les hommes vont au club se délasser des calculs de la journée. L’art, la science, l’industrie, l’opinion sont représentés par des clubs. À Amsterdam, par exemple, il y en a un où l’on amasse des livres, des tableaux, des sculptures, où l’on donne des concerts ; un autre où l’on reçoit les journaux politiques et étrangers ; un troisième où l’on trouve une ménagerie et un cabinet d’histoire naturelle ; un quatrième qui s’est formé pour avoir seulement trois ou quatre bals et quatre soupers par hiver ; un cinquième, qui est le club des patriciens, où l’on trouve peu de journaux mais plusieurs tables de jeu. Quelques-uns de ces clubs sont très anciens et fort riches. Presque tous ont une maison à eux et un mobilier considérable. Chaque membre a le droit d’amener là au bal ou au concert sa femme ou sa fille, et d’y introduire pour deux ou trois semaines un étranger. Quant aux habitans de la ville