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Lutspielen (Comédies de son altesse royale la princesse Amélie de Saxe). — Il est un fait que les historiens de la littérature allemande se plaisent à constater, c’est l’influence que leurs princes, leurs grands seigneurs ont exercée à différentes époques sur cette littérature et la part immédiate qu’ils ont souvent prise à son développement. À une époque où les muses de la science et de la poésie n’étaient encore que de pauvres célestes filles retirées à l’écart, portant la robe de religieuse dans les murs d’un cloître, ou la cape grise de professeur dans les salles d’une université, tout le jour penchées sur leurs gros livres, ou soupirant avec leur lyre, craignant le monde, fuyant le bruit, et de temps à autre recevant, comme une insigne faveur, une parole encourageante de quelque courtisan, ou un titre honorifique de quelque souverain ; à cette époque enfin, où la littérature n’entrait encore dans les palais que par la permission d’un chambellan, et, comme une humble bourgeoise, devait se réjouir de voir de temps à autre passer dans ses rangs un de ces hauts et puissans seigneurs dont elle recherchait la protection ; elle devait, la douce et naïve fille du peuple, se sentir toute fière de pouvoir blasonner son égide, de pouvoir répondre à ceux qui l’auraient traitée de parvenue : J’ai du sang royal dans les veines.

Maintenant que cette littérature, si timide d’abord et si réservée, a pris son essor, qu’a-t-elle besoin, je vous le demande, de compter ses alliances aristocratiques, elle qui forme une aristocratie toute nouvelle, une aristocratie plus arrogante et plus impérieuse que toutes celles qui l’ont précédée ? Elle se soucie bien, l’ingrate qu’elle est, des rois qui jadis ont daigné jeter un regard sur elle, des ministres qui lui ont tendu la main, elle qui aujourd’hui régente les rois, fait et défait les ministres, et jette, comme une épée de fer, sa plume dans la balance des états ! Que dirait le sage Colbert, s’il voyait ce que vaut aujourd’hui, pour un homme de talent, la pension de six cents livres qu’il accordait à l’homme de génie ? Que dirait le doux Racine, qui mourut l’ame navrée de ne pas retrouver dans les splendides galeries de Versailles le sourire bienveillant de son souverain, s’il pouvait renaître et voir sur les fauteuils académiques quelques-uns de ces hommes qui se regardent eux-mêmes comme des souverains ? Tant d’orgueil après tant d’humilité. En vérité, le contraste est par trop grand, et les transitions entre une littérature protégée et une littérature protectrice, ont été bien vite emportées d’assaut. Dieu veuille que ce pouvoir, né du choc violent de nos révolutions, comme ces fleurs qui n’éclosent qu’au souffle de l’orage, ne s’exagère pas trop le sentiment de sa force et sa durée, et ne tombe pas un jour victime de ses propres erreurs.

Mais nous nous écartons de notre sujet. Nous sortons de cette modeste Allemagne où, malgré les infiltrations de quelques idées fort excentriques, on n’anéantit pas encore la tradition du passé pour rehausser le présent. Donc, les Allemands aiment à faire la nomenclature des rois, des princes, qui ont encouragé ou cultivé eux-mêmes les lettres, et cette nomenclature date de loin. Elle remonte jusqu’à ces chantres animés du peuple et des chefs des tribus dont Tacite nous a signalé les poésies malheureusement perdues, jusqu’à