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souverain ; il est le Richelieu futur du roi d’Angleterre. Pym a employé son temps et son énergie à remuer et à soulever toute la Cité ; il est le symbole du pouvoir populaire. Rivaux d’amour, rivaux de gloire, rivaux d’autorité, fanatiques de leur opinion, tous deux chefs : non-seulement d’une armée, mais d’une idée, ils apportent dans l’arène la double destinée ou monarchique ou démocratique de l’Angleterre. Mais Strafford est vaincu d’avance. Son ennemi le force de venir plaider sa cause devant ceux même qui l’accusent. En vain Charles essaie-t-il de sauver son puissant ministre par des concessions faites aux chefs de l’opposition. C’est une lutte à mort. Lorsque Pym vit que le procès traînait en longueur, que la sévérité mélancolique, la haute éloquence, la dignité imperturbable de Strafford, commençaient à exciter l’intérêt public, il produisit des notes secrètes que son ami Vane lui avait communiquées, et demanda l’attainder, ou bill de proscription définitive, contre Strafford. Le roi, présent à cette mémorable séance et caché par un treillage en bois qui le séparait de l’assemblée, brisa de sa main irritée le treillage qui le protégeait ; Pym ne se troubla pas, et continua son accusation plus terrible qu’oratoire, tout animée de haine, toute vivante par les preuves, sans déclamation et sans ornement, nue et brillante comme le tranchant d’une hache, qui frappait de mort le conseiller et l’espoir du trône. Ce fut alors que Strafford malade, relevant sa belle tête attristée, fixa sur son ancien ami un si long et si douloureux regard, que les papiers de Pym s’échappèrent de sa main, et qu’il fut incapable de continuer son discours[1].

Strafford périt sur l’échafaud, et les historiens le donnèrent, ceux-ci pour un martyr, ceux-là pour un bourreau. Les nations long-temps divisées n’ont pas d’histoire. Chacune des opinions rédige la sienne, qui n’est qu’un plaidoyer, plus ou moins habile. Hallam lui-même, esprit juste et consciencieux écrivain, est un whig et pardonne tout aux whigs. Hume, malgré sa froideur d’ame et de style, cherche avec soin et présente avec adresse les excuses qui peuvent sauver l’honneur des Stuarts. Lisez Brodie, ce sont des infames. Lisez d’Israëli, ce sont d’excellens et pacifiques monarques. Ces historiens ne s’entendent pas davantage sur les principes et les bases de la constitution anglaise ; elle est monarchie pour ceux-ci, république pour ceux-là ; elle n’est ni l’un ni l’autre. Que Strafford ait payé ses efforts monarchiques de sa vie, on ne peut s’en étonner : l’Angleterre ne

  1. Voyez Lettres de Baillie.