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préambules pour m’apprendre que vous nous quittez ; mais souvenez-vous bien de ce que je vous dis : vous vous perdez ! Souvenez-vous aussi que, si vous nous abandonnez aujourd’hui, je ne vous abandonnerai jamais, moi, que votre tête ne soit par terre. »

Pym tint sa parole.

Il a manqué à la révolution française un des personnages les plus curieux et les plus originaux de la révolution d’Angleterre, c’est cette même comtesse de Carlisle que j’ai nommée et dont il faut bien que je parle. Une femme étrangère aux opinions des partis, ne partageant point leurs passions, n’espérant rien d’eux, ne leur demandant rien, belle, orgueilleuse, riche, puissante, amoureuse de la gloire, surtout du succès, s’offre pour récompense au vainqueur, quel qu’il puisse être. Elle ratifie la sentence de la fortune ; sa faveur est le sceau et la dernière couronne du triomphe. Elle traverse, qui le croirait ? toutes les phases d’une révolution qui multiplie les défaites et les victoires, toujours belle, toujours adorée, et souriant toujours au triomphateur. Nous n’osons pas, en vérité, lui opposer notre Théroigne de Méricourt, qui n’avait pour elle que la beauté, la jeunesse et la violence, et qui, après un éclat passager, vit sa réputation équivoque et sa faible raison brisées par le premier choc révolutionnaire.

Lucy, comtesse de Carlisle, était la plus jeune fille du duc de Norhumberland, Henri, huitième du nom ; née en 1617, mariée à un courtisan faible et prodigue, elle jeta les yeux autour d’elle et chercha quel était le premier homme de son temps. C’était, de 1630 à 1640, Wentworth, comte de Strafford, qui essayait, au péril de sa tête, d’arrêter le torrent des opinions populaires et de soutenir le trône de Charles Ier. Il était magnifique, élégant, audacieux, aimé du roi, craint des communes. La liaison de lady Carlisle avec Strafford ne fut bientôt un secret pour personne. Lorsque ce ministre eut payé de sa vie l’audace et surtout l’habileté de sa tentative, lady Carlisle, que Warburton appelle l’Érynnis de son temps, chercha encore un roi à couronner. Elle se donna au grand homme du jour, à Pym, qui venait de tuer Strafford. Ce qu’elle aimait avant tout, ce n’était pas l’amour, mais la supériorité politique, la puissance actuelle, la royauté du moment. Elle était d’une beauté accomplie. Les poètes Suckling, Voiture et Davenant ne tarissent pas en éloges sur la perfection de ses traits et de sa taille, sur l’expression voluptueuse et fière de sa figure, sur ses longs cheveux noirs, sur la symétrie de ses formes et l’éclat de son teint. Elle ne fit pas plus mystère de sa nouvelle préférence