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qu’au au bout, il relâcha les prisonniers, qui purent rejoindre leur navire après neuf jours de privations et d’angoisses.

L’aventure du Hunter, non moins lugubre, a été connue par le récit de Dillon, officier sur ce bâtiment. Le Hunter, en station dans la baie de Waïlea, sur l’une des îles Viti, entretenait des rapports avec un chef qu’il seconda dans ses expéditions. Grace aux Européens, ce Vitien écrasa son ennemi ; mais, se refusant à tenir ses promesses, il ne voulut plus, après la victoire, donner au navire le bois de sandal dont on avait besoin. Une lutte s’ensuivit. Les équipages débarquèrent en armes et marchèrent droit aux Vitiens. Malheureusement, surpris par des masses de naturels, ils purent à peine se servir de leurs armes à feu, et furent en un instant entourés, coupés, anéantis. Un seul détachement restait sous les ordres de M. Billon, qui put gagner un rocher à pic, où, avec quelques hommes, il tint tête à l’armée des sauvages. Quoique sa troupe fût réduite à trois combattans, il persévéra néanmoins dans sa résistance. D’ailleurs, en jetant un regard sur la plaine, il pouvait se convaincre que ces cannibales ne faisaient de quartier à personne. Les cadavres de ses compagnons étaient dévorés sous ses yeux, et deux de ses marins, ayant voulu capituler, avaient été massacrés sans pitié. Il était difficile de prévoir comment on pourrait se tirer de cette position désespérée. Billon, qui connaissait les mœurs de ces peuples, eut recours à un stratagème : il s’empara d’un prêtre, personnage sacré pour les Vitiens, et le soir, quand le camp ennemi, fut plongé dans le repos, il le traversa, précédé de son prisonnier, qu’il faisait marcher en lui tenant le pistolet sur la poitrine. Ainsi il put parvenir jusqu’à la chaloupe et regagner le Hunter.

Tel est le peuple auquel l’Astrolabe et la Zélée allaient demander une réparation. Les circonstances de la catastrophe du capitaine Buneau étaient encore peu connues. On savait seulement que cet officier était venu mouiller devant l’île de Piva avec son bâtiment marchand, la Joséphine, et que des relations s’étaient établies entre lui et l’un des chefs les plus farouches et les plus redoutés du pays, Missi-Maloa, surnommé Nakalassé. Quoique le pouvoir de ce sauvage fût subordonné à celui de l’Abouni-Valou, ou empereur résidant sur la grande île de Viti-Lebou, sa férocité lui avait valu une sorte d’indépendance. Comblé de faveurs et de présens par le capitaine Buneau, il n’en résolut pas moins sa perte, et, au moyen d’une surprise, il fit tomber sous ses coups le capitaine et les matelots. Ce massacre appelait une expiation, et elle était d’autant plus