Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/650

Cette page a été validée par deux contributeurs.
642
REVUE DES DEUX MONDES.

européens, enlevé les équipages, brûlé les coques des bâtimens, massacré des hommes. Guerrier redoutable, il devait sa fortune à sa passion pour les armes. Monté sur le trône, son fils ne se laissa point égarer par l’exemple de son père. Il vit le pays dévasté, les populations affaiblies, les campagnes en friche. Son plan de conduite fut bien vite arrêté ; il rassembla les chefs et leur tint le discours suivant : « Chefs et guerriers, mon ame a été attristée par les guerres continuelles de celui dont le corps repose actuellement dans la tombe. Nous avons beaucoup fait ; mais quel est le résultat ? La terre est envahie par la mauvaise herbe, il n’y a personne pour la défricher. La vie n’est-elle pas déjà trop courte ? C’est une folie que de vouloir abréger ce qui est trop court. Qui parmi vous peut dire : Je désire la mort ; je suis fatigué de la vie ! Voyez ; n’avez-vous pas agi comme des insensés ? Appliquons-nous donc à la culture de notre sol, puisque c’est là le seul moyen de sauver et de faire prospérer notre pays. Pourquoi serions-nous jaloux d’un accroissement de territoire ? Le nôtre n’est-il pas assez grand pour nous procurer notre subsistance ? Nous ne pouvons jamais consommer tout ce qu’il produit. Mais je ne vous parle peut-être pas avec sagesse… Les vieux chefs sont assis auprès de moi ; je les prie de me dire si j’ai tort. »

Cependant les deux corvettes, poussées par une brise favorable, s’éloignaient du groupe de Hapaï, siége du pouvoir des Finau. À la hauteur des îles Hoïa et Oleva, elles quittaient la Polynésie et entraient dans la zône mélanésienne. Un contraste bien tranché sépare ces deux races si voisines sur la carte. D’un côté se trouvaient ces tribus que nous venons de décrire, tribus dont le teint est jaune, et qui reconnaissent la loi du tabou ; en un mot, la tête de la civilisation océanienne. De l’autre côté allaient paraître des peuplades à peine distinctes de la brute et caractérisées par une couleur fuligineuse, des yeux mous et faux, des membres grêles et difformes, des cheveux laineux et crépus. Parmi elles, rien de fixe, rien de suivi ; point de gouvernement, point de lois, mais seulement une haine profonde et générale pour l’étranger. Ici la femme ne tient plus le même rang que dans les îles orientales : elle vit dans l’abjection et la dégradation la plus complète. L’homme, de son côté, est farouche, impitoyable. La loi du plus fort est son code ; ses besoins sont toute sa science.

En pénétrant dans ces parages, l’Astrolabe et la Zélée avaient à remplir une mission périlleuse et délicate. Un navire de commerce, appartenant à l’un de nos ports de l’ouest, la Joséphine, capitaine Buneau, avait été surpris par l’un des chefs de l’île de Piva, et massacré