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EXPÉDITION DE L’ASTROLABE.

vait à Pape-Iti, baie voisine, afin d’y poursuivre la réparation de quelques griefs. Les deux corvettes concoururent à la négociation qui intervint et qui fut terminée par l’Artémise quelques mois plus tard. Cet incident, plus politique que scientifique, était une sorte de hors-d’œuvre pour l’expédition : aussi le séjour à Taïti fut-il abrégé et suivi d’une reconnaissance hydrographique de tout le groupe. Il s’agissait de rectifier les cartes de Cook, dont les indications fautives faillirent causer la perte de l’une des corvettes sur les récifs de Mopélia.

De l’archipel de Taïti, on se dirigea sur celui d’Hamoa que Bougainville avait nommé îles des Navigateurs. Ces parages ont une triste célébrité dans l’histoire des voyages : ils furent témoins de la catastrophe du capitaine Delangle, compagnon de Lapérouse. Lapérouse venait de mouiller sur l’île de Maona en décembre 1787, et deux jours de relations bienveillantes l’avaient rassuré sur les dispositions des naturels. Les pirogues affluaient le long des bâtimens et s’y livraient à des échanges paisibles. Une petite rixe entre un sauvage et un matelot avait seule troublé la bonne harmonie ; mais le commandant avait cru assez faire pour la sûreté des équipages en montrant aux indigènes, dans un tir aux pigeons, la puissance des armes à feu. Confiant dans sa force, Lapérouse se hasarda même à parcourir les hameaux de la plage et l’accueil qu’il y reçut ne fit qu’accroître sa sécurité. Cependant une catastrophe se préparait.

Le troisième jour, le capitaine Delangle se rendit à l’aiguade avec deux chaloupes et deux canots montés par soixante-une personnes armées. La marée étant basse, on échoua les chaloupes ; les canots seuls restèrent à flot. Dans les premières l’opération se fit tranquillement ; seulement peu à peu le nombre des naturels augmentait, et il s’éleva bientôt à plus de mille. D’abord curieux et importuns, ils finirent par devenir turbulens. Delangle voulut les apaiser avec quelques cadeaux, mais il plaça mal ses faveurs, et ne fit qu’aggraver la situation. Sous peine d’un désastre, il fallait opérer la retraite : Delangle l’ordonna trop tard. Le premier grapin venait d’être levé, quand une grêle de pierres annonça les hostilités. Le capitaine, désireux d’éviter une affaire sanglante, n’y fit répondre que par un coup de fusil déchargé en l’air. Ce fut assez pour provoquer une attaque générale. Mille sauvages se précipitèrent dans la mer, ayant de l’eau jusqu’à la ceinture. Les mousquets ne les arrêtèrent pas ; ils allèrent droit aux embarcations. Delangle tomba le premier, renversé par un coup de casse-tête. À ses côtés périrent