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REVUE. — CHRONIQUE.

violence à la force ? N’est-il pas plus sage de préparer une défense régulière et organisée ? »

C’est là un langage d’homme sérieux, d’homme d’état ; il est à regretter seulement qu’on ne l’ait pas tenu dès le principe. Quoi qu’il en soit, quand le maréchal Soult ne craint pas de rappeler que dans ce siècle la guerre remue des masses d’hommes, envahit brusquement les états et vise droit aux capitales, quand il ne craint pas de rappeler qu’on a vu, à deux reprises, la conquête décider, en vingt-quatre heures, à Paris, les destinées de la France et frapper de stérilité l’admirable campagne de 1814, parce qu’il manquait aux opérations de l’armée un point d’appui dans des fortifications qui, en couvrant la capitale, auraient déconcerté la marche des ennemis et rendu leur liberté d’action aux corps d’armée français, qui pourrait se croire le droit de repousser ces tristes souvenirs et ces leçons salutaires ? Qui viendra nous dire : Nous ne redoutons rien de tout ce que redoute la vieille expérience d’un capitaine éprouvé, du lieutenant de l’empereur ? N’aurait-on pas alors quelque droit de leur répondre : Vous avez donc un parti pris, vous voulez donc assurer non la défense, mais la reddition ; vous aimez mieux nous livrer à l’étranger que de le combattre ?

Sans doute, ce serait là méconnaître les intentions vraies des adversaires du projet. Le ciel nous préserve d’attribuer à qui que ce soit la pensée de livrer le sol de la patrie, la capitale de la France à l’ennemi. Nous voulions seulement faire sentir à des hommes honorables, dont nous ne partageons pas l’opinion, mais dont nous ne suspectons pas la bonne foi et le patriotisme, quelle conséquence extrême une logique rigoureuse pourrait essayer de tirer de leurs prémisses. Lorsque les fortifications de Paris sont hautement demandées par les hommes les plus compétens, lorsque les autorités les plus imposantes corroborent cette demande, lorsque la couronne les propose sous la responsabilité de deux cabinets de politique diverse, unanimes sur ce point, lorsque la demande se fonde et sur les faits historiques les plus irrécusables, les plus décisifs, et sur les principes de la grande guerre telle que les hommes de l’art la conçoivent et la font aujourd’hui, et sur les données les plus certaines de la politique, données dont, hier encore, on a vu quels sont les résultats et la portée, peut-on s’étonner si les hommes qui résistent à ces impulsions, qui ferment les yeux à cette lumière, sont accusés, dans nos temps de luttes et de partis, de méconnaître la dignité, la grandeur du pays, les intérêts de la défense nationale ?

Au surplus, nous croyons, et c’est notre ferme conviction, que cette grande mesure nationale trouvera à la chambre des pairs l’accueil qu’elle a trouvé à la chambre des députés. Ce n’est pas au Luxembourg, où siégent tant d’hommes de guerre et tant d’hommes d’état, où les lumières d’une haute raison se fortifient de tout ce que l’histoire vivante de la patrie et l’expérience personnelle peuvent leur fournir d’appui qu’on peut craindre de voir la loi rejetée ou altérée, ce qui, dans le cas particulier, ne serait qu’un rejet mal déguisé. La