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REVUE. — CHRONIQUE.

ensuite étendre la main vers le pouvoir et en saisir les rênes ? Il le faudrait cependant, car, encore une fois, le ministère du 29 octobre ne pourrait pas les garder, et il est juste d’ajouter qu’il ne le voudrait pas, en eût-il le pouvoir. Il se formerait alors une coalition nouvelle, non cette coalition imaginée à priori faite à la main, et sur laquelle la Revue garde ses premières et anciennes convictions, mais une coalition qui naîtrait de la situation, de la force des choses, une coalition qui se placerait non en face, mais autour du trône, afin de soutenir le gouvernement de notre choix dans ses nobles projets pour la défense et la dignité du pays. Cette coalition écrirait sur son drapeau, elle en aurait le droit : Révolution de juillet, monarchie de juillet, dynastie nationale, défense du pays, dignité de la France ; qu’écriraient les adversaires sur le leur ?

Qu’ils lisent les journaux de l’étranger, les journaux humbles et dociles de l’Allemagne censurée. D’où viennent ce langage superbe, ces menaces ridicules, ces colères si mal déguisées, ces inquiétudes affectées à propos de nos fortifications et de nos armemens ? Ils avaient pris depuis vingt-cinq ans la douce habitude de voir la France démantelée, à moitié désarmée, ses arsenaux mal approvisionnés, ses ports dégarnis, et ils voudraient nous imposer cette faiblesse et cette misère comme notre état ordinaire, régulier, permanent. Il leur est alors si facile, si commode, sous les inspirations vivantes encore, quoi qu’en dise, de la sainte-alliance et des fameux congrès de Vérone, de Leybach et autres, de renouer leurs vieilles amitiés, et de se mettre tous ensemble, en laissant la France de côté. Voyez plutôt le traité du 15 juillet, et ne perdons jamais de vue que la Prusse et l’Autriche y ont souscrit contre leurs vrais intérêts, uniquement pour aider la Russie à briser l’alliance anglo-française, au risque des luttes qui pourraient s’ensuivre. Que dis-je ? ces puissances savaient bien que la France était loin d’être préparée pour ces luttes ; elles savaient bien que leurs projets seraient accomplis avant que la France pût faire une démonstration sérieuse. S’ils avaient su le contraire, si notre armée, notre marine, nos forteresses, nos arsenaux, nos magasins se fussent trouvés dans une juste proportion avec le rang que la France doit occuper dans le monde, et avec les avantages et les inconvéniens qui sont l’effet inévitable de sa condition politique, le traité du 15 juillet n’aurait pas été signé ; l’Autriche et la Prusse n’auraient pas fait si bon marché de leurs propres intérêts aux séductions moscovites et aux caprices despotiques du cabinet anglais. Mais rassurées par notre faiblesse, elles n’avaient qu’à opter entre leurs vieilles et intimes amitiés et leurs relations polies, mais froides, avec nous : elles n’ont pas hésité.

Ainsi que les amis de la paix quelle qu’elle soit, que ceux qui auraient le malheur de préférer quelque tentative industrielle de plus à la dignité de la France, ne viennent pas nous dire que, si le pays eût été armé, il n’aurait pu prévenir notre déchéance en Orient que par la guerre. Non ; même ce triste et honteux prétexte leur manque ; ce déplorable raisonnement n’est pas fondé.