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REVUE MUSICALE.

ira modifier son œuvre, et la remuer de fond en comble pour la mettre à la taille de Mme Nathan ou de Mme Stoltz, par exemple. Qu’un musicien remanie sa composition lorsqu’il s’agit de l’agrandir, de lui donner des dimensions plus larges et plus hautes, de la faire passer de l’Opéra-Comique à l’Opéra, de la voix de Ponchard ou de Chollet à la voix de Nourrit ou de Levasseur, cela se conçoit. Meyerbeer lui-même n’a pas fait autre chose pour Robert-le-Diable, destiné d’abord et mis à l’étude au théâtre Ventadour. Mais toucher à son œuvre dans des conditions d’amoindrissement, la reprendre pour la dégrader, en vérité une pareille besogne pourrait tout au plus se proposer à quelque honnête lauréat du prix de Rome, dans toute la candide effervescence d’un premier début ; l’auteur des Huguenots n’en est point là. Quant à Mlle Loewe, à la saison prochaine, le Théâtre-Italien ne peut manquer de lui ouvrir ses portes. Pourquoi, dans cette occasion, le maître ne suivrait-il pas sa cantatrice ? Nous ne pouvons croire que la fortune de Meyerbeer soit irrévocablement liée à la fortune de l’Académie royale de Musique. En tout cas, ce ne sont pas les égards dont on entoure la représentation de ses chefs-d’œuvre qui doivent le pénétrer d’une bien vive tendresse. Quoi d’étonnant d’ailleurs que l’auteur du Crociato voulût renouveler connaissance avec l’Italie ? Plus d’une fois, au sortir de quelque magnifique représentation des Puritains, de Norma ou d’Otello, nous l’avons vu exprimer hautement le désir d’entendre exécuter sa musique par ces nobles voix. Du moment qu’il y a pensé, il le fera tôt ou tard. Alors pourquoi pas tout de suite ? De la sorte, les choses s’arrangeraient à merveille pour Mlle Loewe aussi ; car, lorsqu’on y réfléchit, on se prend à redouter pour cette voix si argentine, si flexible, si pure, ces terribles traditions de urlo francese encore fort en honneur rue Lepelletier, quoi qu’on dise ; ce répertoire, véritable minotaure, qui en moins de dix ans a dévoré Nourrit, Mlle Falcon et Duprez. En somme, le voisinage de Rubini lui conviendrait mieux, et puis elle retrouverait sur cette scène Mozart, Rossini et Bellini, tous les maîtres qu’elle affectionne. Qui sait ? c’était peut-être sa destinée de passer immédiatement du théâtre royal de Berlin au Théâtre-Italien de Paris, et de parcourir ainsi presque pas à pas la même route que la Sontag, pour atteindre ensuite au même but, à la même couronne, de grande cantatrice s’entend.


H. W.