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anciennes et modernes s’est allongée à vue d’œil. Dans un Catalogue des dialectes, publié en 1820 à Saint-Pétersbourg, M. Frédéric Adelung en avait déjà porté le nombre à 3,064. Six ans après, M. Adrien Balbi stupéfia la république des lettres, en enregistrant dans son Atlas ethnographique, 860 langues, et plus de 5,000 dialectes. Le chiffre de M. Adelung était doublé, et il y avait pour la science cent pour cent de bénéfice. Depuis ce temps, l’ardeur ne s’est pas ralentie : les voyageurs qui exploitent les pays inconnus, et les érudits qui voyagent dans les espaces de l’antiquité, inventeraient des langues plutôt que de n’en pas découvrir ; et M. Balbi ne manquera pas de profiter de leurs trouvailles, si jamais il donne une seconde édition de son Atlas.

Il n’était pas sans intérêt de savoir le nombre des mots dont se compose la langue française. L’honnête homme qui a pris la peine de les compter a sans doute bien mérité de la patrie, et ce fut de sa part un excès de modestie que de conserver l’anonyme. Le calcul fait sur l’édition du Dictionnaire de l’Académie, imprimé à Nîmes en 1789, donne un peu moins de 30,000 mots, savoir : substantifs, 18,716, — adjectifs, 4,803, — verbes, 4,557, — adverbes, 1,634, — en tout, 29,710 mots, auxquels il faut ajouter les termes, en très petit nombre, qui ont pour fonctions grammaticales d’exprimer non pas des objets, des actions, ou des idées, mais des rapports et des accidens : tels sont les articles, pronoms, prépositions, etc. À ce compte, la langue française serait aussi bien pourvue que la langue espagnole, à laquelle on attribue aussi 30,000 mots ; moins riche que la langue italienne, qui en possède, dit-on, 35,000, et que la langue anglaise, qui d’après le dictionnaire de Johnson[1], en comptait 36,784. Mais nous ferons remarquer au nom de la France, que le calcul, en ce qui la concerne, a été fait sur un dictionnaire antérieur à la révolution de 1789 ; que depuis ce temps, le progrès a été mis à l’ordre du jour, et que la langue française a conquis une multitude de vocables, en politique, par le fait de la constitutionnalité, en philosophie, par l’humanitarisme, en littérature, grace à l’art romantique ; que, dans les études positives, le jargon scientifique s’est tellement enrichi, qu’il exige aujourd’hui un vocabulaire à part, plus volumineux que celui de la langue usuelle, puisque, dans les sciences naturelles seulement, on compte 80,000 plantes dans le règne végétal, 100,000 espèces dans le règne animal, et dans l’histoire de la nature inorganique, un nombre effrayant de dénominations baroques, rangées sous 132 grandes divisions.

Après des recherches curieuses sur le mécanisme de quelques langues peu connues, l’auteur a rassemblé divers ouvrages de patience monacale, de longues histoires écrites en monosyllabes, des combinaisons de lettres ou de chiffres dont les résultats sont surprenans. Ce qu’on éprouve en voyant le

  1. L’analyse littérale de la langue anglaise a été poussée assez loin pour qu’on puisse apprécier les élémens apportés sur le sol britannique par les civilisations diverses qui l’ont fécondé successivement. Ainsi on a distingué dans les trente-six mille mots enregistrés par le savant Johnson, 15,709 dérivés, savoir : du latin 6,732, du français 4,812, du saxon, 1,665, du grec 1,148, etc.