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des huguenots, ont été traités avec ménagement, et qu’au contraire Catherine et son fils Charles, secrètement favorables à la réforme, ont été voués à l’exécration par les protestans et par les historiens du dernier siècle qui ont sucé le lait du protestantisme, on comprendra qu’en politique rien n’est plus dangereux que les tergiversations et les demi-mesures ; on remarquera qu’un adversaire franchement déclaré obtient du moins le respect, tandis que ceux qui, par faiblesse de caractère ou par fatalité de position, veulent user de ménagemens et se maintenir entre les extrêmes, s’exposent au mépris et à la haine de tous les partis.


Le livre des Singularités[1], par G.-P. Philomneste (Gabriel Peignot). — Assez de travaux sérieux, assez de discussions et de systèmes. Place et indulgence, s’il vous plaît, pour un livre dont la seule prétention est de vous distraire ; pour un livre qui rappelle les temps de doux loisirs et de fine causerie, où on étudiait, non pas toujours pour battre monnaie et faire école, non pas pour se faire placer, comme un pâle martyr de la science, dans une des niches de quelque temple académique, mais tout bonnement pour alimenter son esprit, et apporter dans la société un peu de ce piquant savoir qui relève la conversation et provoque les saillies. Depuis la publication de ses Amusemens philologiques, Philomneste, le spirituel érudit, a beaucoup lu, beaucoup vu, beaucoup écouté : les singularités en tous genres qu’il a recueillies au jour le jour, composent un nouveau répertoire de balivernes instructives, de sornettes amusantes. Faisons donc cercle autour de Philomneste, car on voit, à je ne sais quel malicieux sourire, qu’il est en humeur de conter, et qu’il va entamer un chapitre trop négligé de l’histoire de cette pauvre humanité dont on parle aujourd’hui, le chapitre des bizarreries de l’esprit humain.

Pour qui fait un livre, il est moins facile qu’on le pourrait croire de commencer par le commencement. L’auteur du Livre des Singularités est du moins irréprochable sur cet article. Il débute par un chapitre intitulé Antégénésie, dans lequel il a rassemblé les opinions des fortes têtes anciennes et modernes, sur ce grave problème : quelles étaient les occupations de Dieu avant la création ? Ainsi posée, la question fait sourire : elle a pourtant des côtés sérieux que nous laisserons à dessein dans l’ombre, pour arriver plus tôt au piquant chapitre qui a pour titre : Onomatographie amusante. C’est un recueil curieux de recherches, de combinaisons de singularités, en un mot, qui ont pour objet le langage. Savez-vous, par exemple, combien il y a eu de langues jargonnées sur la terre, depuis la fatale aventure de Babel, comme dit l’auteur, jusqu’aux dernières énumérations des idiomes connus ? Il y a environ deux siècles, le père Kircher, en accordant cinq cents langues à l’espèce humaine, avait paru bien généreux ; mais à partir du dix-huitième siècle, nombre de savans ont été tourmentés du démon de la linguistique, et, grace à l’émulation qui s’est établie entre eux, la nomenclature des langues

  1. Dijon et Paris. Pellissonnier, rue des Mathurins-Saint-Jacques, 24.