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d’Albe. L’impression laissée par le livre de M. Alberi est bien différente. Suivant lui, Catherine, dédaignée par Henri II, qui était follement épris de la belle Diane de Poitiers, conserva, même après la mort de son mari, la contrainte et la défiance naturelles aux personnes qui ont long-temps souffert. Elle était naturellement ennemie des résolutions violentes, et si, pour le malheur de sa vie, elle fut obligée d’accepter la complicité du grand crime qui fait tache dans notre histoire, elle n’a pas encouru le reproche odieux de préméditation.

La cour de France, dit l’auteur italien, fort indifférente sur les principes religieux, eût accepté assez volontiers les conséquences politiques de la réforme. Elle sympathisait avec ces huguenots qu’elle était obligée de combattre. Au lieu de conspirer avec le duc d’Albe le massacre des hérétiques, la reine-mère, désespérée de ne pouvoir les appuyer ostensiblement, faisait jouer en leur faveur les ressorts secrets de sa diplomatie. Elle s’épuisait en promesses pour déterminer le duc de Florence, Cosme Ier de Médicis, à seconder les révoltés des Pays-Bas ; elle lui offrait de l’aider à conquérir la Corse sur les Génois, et lui faisait espérer le titre de grand-duc de Toscane, qu’il ambitionnait ardemment. Le rusé Florentin ne prêtait l’oreille aux insinuations de sa parente que pour les déférer secrètement à la cour de Madrid, et s’y faire un mérite de sa trahison. Bien loin de porter secours aux révoltés, Cosme fait passer au roi d’Espagne cent mille sequins pour soudoyer l’armée du duc d’Albe. Catherine ne tarde pas à être instruite de ces faits, et, dans le premier emportement de la colère, elle accable son frère de reproches ; mais elle sait que dans les évolutions politiques, les plus fiers tacticiens peuvent être conduits à miner la position où ils se retranchaient précédemment. Elle ne désespère donc pas de ramener le duc Cosme à ses desseins. Les sollicitations deviennent plus pressantes que jamais ; la négociation est conduite par un certain Galéas Frégoso, un des subtils Italiens disséminés alors dans les cours de l’Europe, où ils étaient les agens brevetés de toutes les intrigues. Nous allons transcrire ce qu’on lit à ce sujet, dans un message du 16 avril 1571, adressé par le duc de Florence, à son représentant à la cour d’Espagne : c’est un renseignement précieux dont il faut savoir gré à M. Alberi. « Notre envoyé en France fut entrepris par Jean Galéas Frégoso, qui voulut l’induire à donner aide au duc de Nassau dans la guerre de Flandres ; il a été de plus sondé par le comte de Nassau en personne, par l’amiral de Coligny, par Théligny son gendre au nom du roi, et enfin par le roi lui-même, qui a donné une lettre écrite de sa main à Galéas. » Le duc Cosme recommande à son ambassadeur de faire valoir à Madrid l’importance de cette révélation, et de solliciter le titre de grand-duc, qu’il pourrait obtenir par l’influence française, mais qu’il veut devoir uniquement au roi d’Espagne.

Les historiens, en général défavorables à Catherine, ont remarqué qu’en ordonnant la Saint-Barthélemy, elle avait agi contre ses intérêts personnels, et que sans doute elle avait cédé au transport d’un fanatisme aveugle. « On a peine à concevoir, a dit Voltaire dans son Essai sur les mœurs, comment la