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loi des Gracchus, applicable à tous les genres de propriété, avait pour but de réduire indistinctement les fortunes légitimes ou usurpées.

Nous regrettons enfin que l’auteur n’ait pas accordé une attention spéciale aux institutions de crédit. Quelques assertions, beaucoup trop absolues, ne jettent sur ce sujet qu’une lumière douteuse. Prenons pour exemple le passage suivant[1] : « Les dettes publiques, les banques, les emprunts de l’état, les moyens de crédit et toutes ces créations de propriétés imaginaires, dont la jouissance repose sur les impôts que nos arrière-neveux voudront bien consentir à payer un jour, sont des fictions qui étaient totalement inconnues aux anciens. » Sans doute, l’antiquité n’a pas connu ces rouages financiers qui fonctionnent chez nous avec assez de puissance, pour donner l’impulsion au système général du gouvernement ; mais il y avait à Rome, et dans les cités provinciales comme aujourd’hui à Paris et à Londres, des jours de besoins impérieux qui obligeaient les dépositaires du pouvoir à créer des ressources exceptionnelles. L’an 537 de Rome, les Scipions, qui commandaient en Espagne, firent savoir que leur armée était dans le plus complet dénûment. Le peuple fut convoqué en assemblée générale, et un magistrat fit la proposition d’un emprunt avec des garanties suffisantes : aussitôt trois compagnies se présentèrent. Quand le sénat romain, réduit aux extrémités, ne prenait pas d’engagemens à terme, il aliénait les terres du domaine public : c’était bien là encore une sorte d’emprunt dont la rente, au lieu d’être servie directement par l’état, était acquittée par le revenu dont il concédait la jouissance. M. Dureau de La Malle a cité, d’après Cicéron, plusieurs villes de l’Asie mineure qui, ne possédant ni trésors métalliques, ni propriétés foncières, n’avaient d’autres moyens pour se procurer de l’argent que les impôts et les emprunts. N’était-ce pas encore une sorte d’emprunt forcé que l’altération successive des monnaies, qui, pour ne parler que des espèces de cuivre, conserva à Rome le nom de livre à une pièce qui n’en pesait plus que la vingt-quatrième partie ? Sur tous ces points, l’auteur se montre suffisamment érudit ; mais on regrette de ne pas voir apparaître plus fréquemment l’économiste.

Il n’est pas non plus parfaitement exact de dire que les anciens n’ont pas connu les banques. Dans la sphère des intérêts privés, les vertus de l’argent ont inévitablement frappé les esprits tenus en éveil par l’appât du gain. Tout porte à croire que l’agiotage était fort actif parmi ces puissantes corporations financières, dont les ambitieux cultivaient soigneusement l’alliance. L’idée de fonder des établissemens de crédit dans un intérêt général appartient peut-être aux hommes d’état romains, et il semble même que la conception primitive fût plus loyale et plus féconde que les combinaisons progressives des modernes. Mécènes, dont M. Dureau de La Malle a apprécié dignement le génie politique, conseillait à Auguste de capitaliser le prix des domaines nationaux et de fonder une banque de circulation qui avançât des fonds à des conditions modérées à ceux qui devaient en faire un emploi utile dans l’industrie ou dans l’agriculture. Un projet plus libéral encore fut mis à exécution par Tibère.

  1. Page 4, tome Ier.