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fort peu de pain, et que les enfans, qui n’en mangent pas encore, sont en assez bon nombre dans une population ; que les femmes absorbent moins d’alimens que les mâles, et que les enfans au-dessous de dix ans comptent pour un cinquième dans le dénombrement d’un peuple. On se rapprocherait plus de la vérité en accordant aux femmes les deux tiers de la ration des hommes, ou deux livres de pain par jour, et moitié seulement, c’est-à-dire une livre et demie en moyenne, aux enfans de tout âge, aux adolescens et aux vieillards. Nous croyons encore que la part faite aux esclaves par M. Dureau de La Malle est en général trop forte. Au passage de Caton, qui accorde en effet trois livres de pain par jour aux ouvriers ruraux[1], nous pourrions opposer d’autres textes, desquels il résulte que les esclaves recevaient ordinairement quatre à cinq mesures (modius) de blé par mois, ce qui représente approximativement deux livres par jour. Si la nourriture de ces malheureux avait été aussi abondante que M. Dureau de La Malle paraît le croire, il n’eût pas été nécessaire de passer au cou de ceux qui tournaient la meule une planche percée par le milieu, pour les empêcher de porter la farine à leur bouche. Il est permis de croire encore que les ressources alimentaires ont été augmentées par des importations commerciales ou par des réquisitions faites en pays étrangers après la victoire. En recommençant tous les calculs d’après ces bases, nous avons trouvé que la population totale de l’Italie romaine au IIIe siècle avant notre ère, devait excéder six millions d’ames, et que les esclaves étaient sans doute en majorité dans ce nombre. Deux siècles plus tard, lorsque l’empire s’était accru des Gaules, de la Syrie, de la Palestine et de l’Égypte, l’Italie ne comptait plus que quatre cent cinquante mille citoyens de dix-sept à soixante ans. Sur ce nombre, trois cent vingt mille individus, privés de tous moyens d’existence, recevaient les secours de l’état ; les domaines des grandes familles étaient devenus de petits royaumes ; la classe moyenne avait disparu, et les fortunes indépendantes étaient si rares, que, suivant l’expression du tribun Philippe, rapportée par Cicéron, on ne comptait pas dans toute la république deux mille propriétaires. Cet état de choses avait grossi le troupeau servile d’une façon si effrayante, qu’on fut obligé d’étendre le droit de cité à plusieurs peuples conquis, et de multiplier les affranchissemens pour recruter les légions. D’après ces considérations, que nous pourrions fortifier en les développant, nous nous éloignerions des conclusions de M. Dureau de La Malle, pour revenir à celles du savant anglais M. Blair, qui soutient que, depuis l’expulsion des rois jusqu’à la prise de Corinthe (de 509 à 146 avant J.-C.), il y eut au moins un esclave pour un citoyen, et depuis cette dernière époque jusqu’aux temps d’Alexandre Sévère, trois esclaves au moins pour un homme libre.

Le troisième livre de M. Dureau de La Malle traite plutôt de l’économie domestique des Romains que de leur administration politique. Il n’en est pas

  1. Au temps de Caton, la plupart des ouvriers ruraux étaient des hommes libres qu’on devait conséquemment traiter avec quelque libéralité.