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ESQUISSE D’UNE PHILOSOPHIE.

il choisit entre créer ou ne pas créer. Soutenez-vous que ce choix même n’existe pas, et que la création est nécessaire à Dieu, comme Dieu est nécessaire à la création ? Mais alors où donc se cachent la liberté et l’action de Dieu ? Il n’est pas question d’ailleurs d’admettre en Dieu de la liberté pour une action et de la nécessité pour une autre. Toutes ses actions sont libres, s’il est parfait. Dieu ne peut pas être seulement parfait par quelque endroit ; un défaut en lui, une seule action nécessaire, et il n’est plus la perfection par essence ; il n’est que le moins imparfait de tous les êtres : or, il y a l’infini entre ces deux termes. Admettez-vous la liberté de créer ou de ne pas créer ? Vous l’admettez ; car, si le monde a commencé, comme vous le dites, Dieu ne l’a pas créé nécessairement. Mais avec la liberté revient la possibilité de choisir, condition de la liberté même, et de plus, la création, selon vous, est une déchéance. Quel est donc cet acte libre d’une intelligence parfaite qui a le moindre être pour but et pour résultat ? N’est-ce pas comme si Leibnitz renonçait à son optimisme ? S’il est malaisé de rendre compte de la perfection plus ou moins grande du monde créé, le simple fait d’une création, dès que la création est une déchéance, n’est-il pas encore plus inconciliable avec la perfection infinie de Dieu ? C’est un abîme si difficile à combler, que l’école d’Alexandrie aimait mieux avouer que c’est une imperfection en Dieu d’avoir créé le monde. Et puis, si le monde a commencé, il y a donc eu un moment où Dieu a voulu qu’il commençât ? Est-ce impuissance de le créer auparavant ? est-ce caprice ? Il est absurde, dites-vous, d’agiter de telles questions, parce qu’entre ce qui est éternel et ce qui ne l’est pas, il n’y a aucun terme commun. Mais que devient alors le pauvre esprit humain avec ses notions nécessaires sur la cause ? car, enfin, faut-il croire que la cause a toujours produit et que l’effet n’a pas toujours existé ?

Reste la redoutable question du mal, source féconde de sophismes et d’erreurs, qui a produit le manichéisme et suscité dans tous les temps à la vraie philosophie ses adversaires les plus dangereux. On connaît l’argumentation d’Épicure : « Ou Dieu veut détruire le mal et ne le peut, et alors il est impuissant ; ou il le peut et ne le veut pas, et il est méchant ; ou il ne le veut ni ne le peut, et il est méchant et impuissant tout à la fois ; ou bien il le veut et il le peut ; mais alors comment y a-t-il du mal ? » M. Lamennais répond résolument : Il n’y en a pas ; et, ce qui est mieux, il le prouve. Il n’y a pas de mal, puisque Dieu ne saurait être le principe du mal, et qu’on ne peut supposer l’existence du mal comme principe nécessaire opposé à