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principe, que le monde en est distinct et qu’il est produit par un acte libre. Tout ce qu’on pourra ajouter sur la nécessité où est le créateur de faire participer la créature à tous ses attributs essentiels, sur la valeur plus ou moins grande d’une métaphore et d’une analogie, sur le monde en Dieu ou hors de Dieu, (à moins que hors de Dieu ne signifie distinct de Dieu, et alors ce n’est là que poser la difficulté et non la résoudre) ; toutes ces tentatives n’aboutiront qu’à des hypothèses, et ne pourront servir qu’à encourager ceux qui, pour trancher le différend, nient la distinction radicale de l’effet et de son principe.

Triste sort de la science métaphysique ! Sous chacun de ses pas s’ouvre un abîme. Si le monde est nécessairement produit par la substance divine, Dieu n’est pas libre ; il est donc imparfait, et la notion même de Dieu périt. Si, au contraire, cette production (quelque nom qu’on lui donne) a pour cause un acte libre de la volonté du créateur, aussitôt les difficultés s’amoncellent et nous menacent de toutes parts ; car de cette liberté de Dieu, unie à sa toute-puissance et à sa bonté infinie, il semble que l’on doive conclure sans hésiter que ce monde est aussi parfait qu’il pouvait l’être. Et pourtant, si le monde est nécessairement parfait à cause de la bonté de Dieu, Dieu est donc nécessairement déterminé au plus parfait ; c’est partir de la liberté de Dieu pour arriver à la négation même de cette liberté. Il y a donc contradiction à admettre l’optimisme, et il semble qu’il y ait aussi contradiction à ne pas l’admettre. Qui ne voit d’ailleurs la longue série des objections qu’appelle l’optimisme ? Ce monde si parfait n’a qu’une perfection bornée ; sur quel fondement contester à Dieu, ou la faculté de concevoir quelque chose de plus rapproché de lui, ou la puissance de le réaliser ? M. Lamennais, qui expose cette difficulté, croit avoir trouvé le moyen de la résoudre, mais sa solution ne paraît pas plus heureuse que celle de Leibnitz, qu’il rejette. « La création, dit-il, est la manifestation progressive de tout ce qui est en Dieu, et dans le même ordre qu’il existe en Dieu ; et il est évident, dès-lors, que, tout ce qui peut être devant être, il n’y a pas même lieu à imaginer un choix. Dieu est libre en créant… » On demande à M. Lamennais ce que c’est que la liberté, là où il n’y a pas même lieu à imaginer un choix. La liberté sous cette condition n’est-elle pas plutôt la possibilité de la liberté, que l’exercice de la liberté même. Mais à supposer qu’il y ait exercice de la liberté là où il n’y a pas de choix, M. Lamennais n’est pas parvenu à son but, et Dieu aura toujours un choix à faire ; car dans les autres hypothèses il choisissait entre créer ce monde, ou un autre, et dans celle de M. Lamennais,