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ESQUISSE D’UNE PHILOSOPHIE.

qu’il y a aussi et nécessairement unité et triplicité en toutes choses. Pour qu’il y ait partout unité et triplicité, il faut d’abord qu’il en soit de même en Dieu, et ensuite que Dieu, lorsqu’il crée, ne puisse créer qu’à sa propre image ; que tous les êtres qu’il produit participent à tous ses attributs essentiels. C’est sur cette affirmation, relative à un acte simple dont M. Lamennais déclare que nous ne pouvons rien connaître, c’est sur cette affirmation qu’il se fonde pour soutenir que dans le dernier atome de la matière il y a, sous une certaine forme et à un certain degré, de la puissance, de l’intelligence et de l’amour. La conséquence est assez importante, elle s’éloigne assez des idées reçues, de l’opinion générale et des apparences sensibles, pour que l’on se montre difficile sur la démonstration des prémisses. Nous avons vu que la trinité demandait de nouvelles preuves plus convaincantes ; la théorie de la création demanderait aussi à être prouvée, et pourtant elle nous est donnée comme une chose si simple, si naturelle, si évidente, qu’on croirait nous faire injure en la démontrant. Ainsi, il y aura partout de la puissance, de l’intelligence et de l’amour, si ces trois attributs sont en Dieu, et si Dieu est le créateur de toutes choses. Nous connaissions un axiome qui dit : Nul ne donne ce qu’il n’a pas ; faudra-t-il qu’on y ajoute cet autre principe : Nul ne donne pas tout ce qu’il a ? Pour parler le langage consacré, toute qualité formelle dans l’effet suppose la même qualité, ou formelle, ou éminente, dans la cause ; faudra-t-il aussi que toute qualité éminente dans la cause se retrouve au moins en tant que formelle dans l’effet ? À toutes ces questions, le simple bon sens répond : non ; si vous dites oui, il faut au moins fournir une preuve.

Cette doctrine de la création est, du reste, un des points qui embarrassent le plus M. Lamennais, et on le conçoit sans peine. Tant qu’il ne s’agit que de juger et de rejeter loin de lui diverses doctrines erronées sur la création, il déploie une netteté, une précision de style, une pénétration, une fermeté de jugement qui n’ont pas lieu de nous surprendre. C’est ainsi qu’il écarte les théories dualistes et manichéennes, qui admettent la co-existence de deux principes éternels, dont l’un est le principe du bien, et l’autre celui du mal ; les doctrines essentiellement païennes qui, sans animer la matière, lui donnent une existence propre, nécessaire, éternelle, réduisent le créateur à la condition d’un artiste qui façonne une substance étrangère, et l’obligent à de pénibles efforts pour triompher de la résistance inerte que cette matière lui oppose ; le système de l’émanation, qui fait sortir le monde de Dieu par une sorte de superféta-