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ESQUISSE D’UNE PHILOSOPHIE.

tion semblable avec les deux premières et les suppose, car on ne saurait dire il qu’en parlant à un autre : elle procède de tous deux. » M. Lamennais dit à plusieurs reprises de grandes subtilités, et bien inutiles, sur le langage. Que ne laisse-t-il cela aux partisans des Abraxas et des talismans ? Les mots ne sont rien que les signes arbitraires de nos idées ; et le fameux Sésame, ouvre-toi, est désormais un conte, et ne peut plus passer pour une histoire.

Il serait curieux de rapprocher de ce système les autres théories trinitaires de notre époque ; l’Allemagne en fournit un grand nombre. Le principe de la philosophie d’Oken est celui-ci : l’essence de toutes choses consiste dans la trinité qui est unité, et dans l’unité qui est trinité. Ces principes réussissent mieux en Allemagne qu’en France, où nous voulons toujours que l’on prouve. Il y a des doctrines qui s’affirment et ne se prouvent pas. Il est remarquable que les trinitaires s’accordent à admettre des trinités, mais que les termes de ces trinités diffèrent pour chacun d’eux. C’est même, à ce qu’il semble, une loi générale ; car elle s’appliquait parfaitement, il y a dix-huit siècles, aux néoplatoniciens. Plutarque de Chéronée faisait deux hypostases distinctes de la prescience de Dieu et de son intelligence ; cette distinction n’a pas été reprise après lui ; il est vrai qu’il se fondait sur une raison toute verbale, qui n’est plus même intelligible depuis que les philosophes n’écrivent plus en grec. Numénius distinguait trois hypostases ou personnes divines, le père du monde, l’auteur du monde, et le monde. Ce système, qui nous est imparfaitement connu, semble avoir les plus grands rapports avec celui de M. Lamennais ; car si l’on en croit Amélius, le père n’est autre chose que la puissance première d’où découle toute substance ; l’auteur, ou le créateur, donne à cette substance des formes déterminées ; et quant au monde enfin, considéré dans ce qu’il a de réel, ce n’est autre chose que les idées mêmes de Dieu ramenées à l’unité dans l’intelligence divine. Les alexandrins s’accordent à peu près à concevoir les hypostases divines dans cet ordre : l’unité, l’intelligence et l’ame. Mais de ces trois hypostases, quelle est celle qui produit le monde ? Chacun d’eux a son opinion sur ce point. Plotin, il faut en convenir, hésite entre l’esprit et l’ame ; Porphyre établit au contraire, par raisons démonstratives, que l’ame seule a le pouvoir de créer ; Jamblique inclinerait plutôt à admettre le concours de toutes les personnes célestes. On disputait aussi pour savoir si c’est l’ame ou l’intelligence qui conçoit les idées éternelles, modèle intelligible du monde. Plusieurs en ont fait une hypostase distincte, et alors, pour ne pas sortir du ternaire, ils ont