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ESQUISSE D’UNE PHILOSOPHIE.

aime mieux se fonder sur la liberté, qui est assurément un bon caractère spécifique. Il faut dans chacune de ces trois espèces (ou de ces quatre espèces, si l’on revient à la distinction des végétaux), considérer trois énergies constitutives, sans le concours desquelles aucun être ne peut exister : la puissance, l’intelligence et l’amour. Ces trois énergies constitutives se retrouvent à des degrés différens dans tous les ordres de la création ; elles changent seulement de nom, suivant les conditions dans lesquelles elles nous apparaissent. Considérées comme élémens constitutifs de tout être limité, elles sont la substance, la figure et la cohésion. Qu’est-ce, en effet, que la substance, sinon une force qui se développe ? ou la figure, sinon la forme déterminée sous laquelle l’intelligence conçoit le développement d’une force ? Et la cohésion n’est-elle pas identique à l’amour, puisqu’elle fait que les diverses molécules qui composent le tout d’une figure se joignent et s’unissent l’une à l’autre, au lieu de rester éparses et isolées ? « Considérées comme causes générales, manifestées à nos sens, » la force, l’intelligence et l’amour subissent une autre transformation apparente, car « elles doivent alors être conçues sous la notion de fluides essentiellement distincts, le calorique identique à l’amour, la lumière identique à l’intelligence ; et comme il ne peut plus y avoir qu’un fluide primitif élémentaire correspondant à la force, il faudrait conclure que les fluides magnétique, électrique et galvanique ne sont radicalement qu’un même fluide envisagé dans ses effets divers. » Cette dernière conjecture paraît avoir des partisans parmi les physiciens, qui doivent y être arrivés par une route un peu différente ; M. Lamennais est plus heureux en ceci que les pythagoriciens, qui, ayant d’abord préconisé la décade et le système décadaire, et ne découvrant que neuf planètes, en affirmèrent résolument une dixième, en dépit du témoignage des astronomes de leur temps.

Si des élémens constitutifs des êtres M. Lamennais passe à des considérations d’un autre ordre, il faut, dit-il, embrasser trois choses dans l’étude des êtres intelligens, leur mode d’existence, leur mode d’action et leur fin. Il y a aussi trois qualités distinctives de l’homme, la force libre, la parole et la sociabilité. Jusqu’ici on avait accordé à l’homme cinq sens, à l’exception de Maupertuis, qui n’en voulait confesser qu’un seul ; M. Lamennais en reconnaît trois ; l’ouïe et la vue, que le vulgaire distingue, ne sont en réalité qu’un sens unique relatif à la forme, c’est-à-dire à l’intelligence ; l’odorat et le goût, un