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On peut s’étonner qu’opposés d’ailleurs de principes et de méthodes, ils diffèrent sur la qualité des personnes divines, et s’accordent sur le nombre. Mais d’abord il se peut faire qu’il y ait en Dieu trois attributs principaux, accessibles à notre intelligence ; puis il y a la secrète influence du dogme chrétien ; il y a la raison psychologique du triple aspect de l’ame humaine, qui peut conduire, à leur insu, les ennemis les plus déclarés de la psychologie, car on sait que, si Dieu a fait l’homme à son image, l’homme à son tour le lui a bien rendu. Il y a enfin cette éternelle opposition du fini et de l’infini, avec leur rapport conçu comme un troisième terme nécessaire. Véritablement, on a quelque peine à concevoir ce troisième terme comme une entité distincte ; le rapport de deux êtres, ou, d’après le système de M. Lamennais, l’amour qui les unit, semble moins un troisième être que la disposition particulière de chaque terme intelligent vis-à-vis de l’autre, de sorte qu’il n’y aurait pas trois personnes, mais deux personnes seulement, et que la Trinité aurait usurpé injustement le caractère sacré qui appartient à la seule dyade.

Mais il est temps de suivre M. Lamennais dans l’application de son système trinitaire. Voici d’abord comment il l’exprime : « L’existence actuelle de tous les êtres implique l’union, actuelle aussi, de trois énergies diverses qui se supposent mutuellement ; et rien n’est ni ne peut être que par la triplicité dans l’unité. » Sur ce principe, on ne voit plus dans le monde que des « unités s’épanouissant sous la forme ternaire. » Quelquefois ces trinités se rencontrent en effet dans la nature des choses et alors, pendant que l’auteur croit tirer une conclusion de son système, c’est peut-être, à son insu, cette prétendue conclusion qui fortifie dans son esprit la croyance à son hypothèse. Quelquefois cette trinité est purement fictive, ou fondée sur une équivoque ; mais l’auteur, emporté par ses vues systématiques, prend une probabilité pour une certitude, une analogie pour une identité ; c’est au moins ce qui doit sembler à ceux qui regardent la donnée première comme une hypothèse. Toute conjecture sur ces grands problèmes paraîtra toujours bizarre à quiconque ne l’adoptera pas explicitement, et ne convaincra jamais personne aussi fermement que son auteur.

« Les êtres que le monde renferme peuvent se diviser en trois classes, dit M. Lamennais, car ils sont libres, organiques ou inorganiques. Ce n’est pas là, comme on voit, la division ordinaire des trois règnes, où l’on fait des végétaux une classe à part ; mais M. Lamennais