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dans son désir d’importer dans la philosophie le mystère chrétien tout entier, veut-il consacrer les mots de génération et de procession, comme celui de personnes ? La puissance engendre l’intelligence ; mais l’amour procède des deux autres personnes, et il serait faux de dire qu’elles l’engendrent. Engendrer, qu’est-ce donc ? Après tout, ce ne peut être qu’une métaphore ; et si tout cela a un autre sens qu’un sens mystique, la génération du fils par le père est impossible, à moins d’un troisième terme. Saint Anselme, qui, avant M. Lamennais, avait tenté d’expliquer les mystères de la trinité (c’est un précédent glorieux), saint Anselme a traité ce point dans le Monologium. Il y explique pourquoi il y a le père et le fils, et non pas la mère et la fille, c. XLII. Mais si ce n’étaient de si excellens esprits, saint Anselme, M. Lamennais, on se demanderait ce que devient au milieu de tout cela la philosophie. Certes, toutes ces contradictions dans le dogme philosophique de la Trinité ne font rien au dogme religieux. Que les mystères restent des mystères, et que l’esprit humain consente à n’admettre en philosophie que ce qu’il peut comprendre et trouver. Nous savons que Dieu est, et qu’il est le souverain bien. N’est-ce pas assez pour l’adorer ? Quand nous voulons fixer le nombre de ses propriétés, en caractériser la distinction et les rapports, ne sortons-nous pas visiblement des conditions de la science ? Le langage devient impuissant, dites-vous ? Et cela ne doit-il pas vous avertir de l’impuissance de l’esprit humain ?

S’il importe au système de M. Lamennais que les divers attributs de Dieu soient des personnes, il ne lui importe pas moins que ces personnes soient au nombre de trois, ni plus ni moins ; car ce ternaire va tout à l’heure s’étendre à la nature universelle, et comme l’unité de Dieu, selon ses expressions, s’épanouit sous la forme ternaire, toute unité dans le monde enfermera une trinité, et la création reproduira sans fin cette loi suprême de l’être. Pourquoi donc y a-t-il en Dieu trois personnes, et n’y en a-t-il que trois ? C’est ce qui ne nous paraît pas démontré ; car il résulte de la raison qu’on apporte que nous ne pouvons pas affirmer légitimement l’existence d’autres personnes divines, mais il n’en résulte en aucune façon que nous puissions affirmer légitimement qu’outre ces trois personnes il n’en existe aucune autre. L’idée de l’être infini, nous dit-on, implique nécessairement la puissance, l’intelligence et l’amour. On l’accorde. Il en résulte que l’Être infini possède nécessairement les trois attributs de puissance, d’intelligence et d’amour. On en convient encore ; il est tout cela, et il est tout cela nécessairement. N’est-il